Mao parle au peuple
Tandis que le comité central du PC chinois a décidé la publication des œuvres complètes de Mao Tsé-toung et que le tome V de ses « œuvres choisies » vient de paraître, il est particulièrement intéressant, à plusieurs titres, de prendre connaissance des textes, recueillis à l’étranger, d’interventions du président défunt.
L’ouvrage Mao parle au peuple regroupe vingt-six documents de la période 1956-1971, portant sur la pensée de Mao Tsé-toung dans les domaines politique, économique et culturel, plus que sur les faits de cette période. Ces textes, s’ils ne sont pas officiels, n’en ont pas moins un caractère d’authenticité que les sympathisants eux-mêmes ne contestent pas. Ils sont tout d’abord remarquablement présentés par Stuart Schram qui fait ressortir plusieurs thèmes de ces discours : les problèmes d’organisation (relations entre le Parti et les masses), l’éducation (culture et révolution), la dialectique du développement, les relations étrangères (opposition à l’impérialisme et au social-impérialisme).
À travers ces discours le lecteur suivra à la fois la permanence des principes de Mao Tsé-toung et l’approfondissement de ses théories. S’accrochant à la réalité chinoise, Mao Tsé-toung apparaît dans sa profonde originalité. Il se différencie en particulier de Lénine, non seulement en tant que théoricien mais encore par sa longue expérience du pouvoir. Que ce soit sur le centralisme démocratique, sur le rôle de la paysannerie, ou encore sur les choix économiques, la conception dialectique de Mao Tsé-toung se distingue par l’importance de la composante chinoise, même si celle-ci reste moins prépondérante que la composante marxiste.
Le problème central du gouvernement, exprimé en termes de « centralisme démocratique » apparaît au fil des ans, que ce soit juste avant de « Grand bond en avant » (dans Les dix grandes relations), pendant la période de « réajustement » (La Conférence des 7 000 cadres) ou lors de la Révolution culturelle (Aux dirigeants du Centre, Discours du 22 juillet 1966…) La participation effective des masses à la conduite des affaires, la méfiance envers la bureaucratie, la réduction des écarts entre cadres et masses, etc. ont été parmi les éléments d’une vaste tentative de changement de la société. Tout aussi important pour Mao Tsé-toung, très attaché aux vertus de la jeunesse, aura été le problème de l’éducation. Pourtant, celui qui voulait ne garder pour la postérité que le titre de Grand Éducateur ne ménage pas ses sarcasmes à ceux qui n’ont que des connaissances livresques, préconisant une éducation liée à la production.
Tout au long de ces discours, apparaît aussi, avec l’accentuation imprimée par le recul historique, tout ce qui différencie et même ce qui oppose la Chine à l’URSS, malgré les emprunts communs au marxisme-léninisme. Car derrière les critiques de Mao à l’égard des dirigeants soviétiques, critiques de moins en moins voilées au fur et à mesure que l’écart se creuse, surgit tout le fond des civilisations que des siècles d’histoire ont modelé de manières distinctes.
Un autre intérêt de ces discours, et non des moindres, c’est leur révélation de la personnalité même de Mao Tsé-toung. Pris sur le vif, ces textes n’ont pas la forme édulcorée des documents officiels revus et corrigés par les organes de diffusion du parti (on comparera en particulier le texte des Dix grands rapports publié officiellement pour la première fois dans Pékin Information du 3 janvier 1977, et celui qui est donné dans Mao parle au peuple, texte n° 1). Par ses propos vivants, mordants, en employant des termes crus et des images percutantes, en faisant de nombreuses références aux personnages historiques ou littéraires de la Chine classique, Mao Tsé-toung nous apparaît dans toute sa dimension, sa vigueur, sa volonté, son sens du concret.
Pour le spécialiste comme pour le lecteur désireux d’approfondir sa connaissance de la Chine moderne, cet ouvrage apporte des éléments précieux d’étude et de réflexion. ♦