Europe, terre promise
Ce petit livre – il n’est petit que par son format – apparaîtra, croyons-nous, à de très nombreux lecteurs pour qui le plaisir de lire n’est pas incompatible avec l’effort de lire, comme un ouvrage d’une grande importance par la densité, l’originalité et la qualité des idées qu’il propose à nos réflexions. De ce point de vue, on regrettera peut-être son caractère légèrement didactique. Sa très riche matière s’accommoderait mieux d’une forme quelque peu plus recherchée ou plus littéraire, ainsi que d’un style et d’une manière plus proches de ceux de Paul Valéry dans « Regards sur le Monde actuel » par exemple. En tout cas, nous nous permettons de suggérer aux lecteurs d’aborder « Europe, terre promise » sans hâte, sans impatience, sans chercher à deviner tout de suite où l’auteur veut en venir et s’il a ou non une arrière-pensée politique. Ce livre, pour être apprécié, ne doit pas être absorbé d’un seul trait. Et, surtout, il ne faut pas y chercher une quelconque réponse – claire, tranchante, définitive – aux préoccupations politiques du moment, ni à l’ensemble des interrogations actuellement englobées dans le terme extrêmement vague de « construction européenne ».
Maurice Le Lannou, professeur au Collège de France, historien et géographe, est un homme d’étude et non de polémique, qui a relativement peu écrit, mais beaucoup réfléchi. Son actuel ouvrage n’a rien d’une improvisation vaguement géopolitique comme il en paraît tant. Il est le résultat de recherches et de méditations multidisciplinaires sur le sujet de l’Europe, qui ont commencé vers les années 1950, c’est-à-dire au moment où la « personnalité européenne », qui a dominé le monde pendant des siècles, a commencé à s’effacer dans les faits devant les contraintes et les défis venus de l’extérieur.
« Le temps des défis » – c’est le titre de la première partie de l’ouvrage – décrit cette « dépersonnalisation » et sert d’introduction aux deux parties essentielles suivantes qui se proposent de rechercher comment s’était peu à peu créée à travers les siècles de la préhistoire et de l’histoire cette personnalité de l’Europe, caractérisée par « sa diversité qui la faisait harmonieuse et activement solidaire ». Dans la quatrième et dernière partie, l’auteur, revenant aux problèmes de notre temps, se demande si les Européens pourraient « se reprendre » et s’ils ont encore quelque chose à offrir au reste du monde, par exemple « en retrouvant leur vieux pouvoir d’invention et en révélant aux nations les voies d’une nouvelle sagesse ».
On voit bien, par ces brèves indications, à quel point l’ouvrage de Maurice Le Lannou, par sa conception et sa construction mêmes, est différent d’une thèse. L’auteur ne veut rien démontrer. Tout au plus propose-t-il quelques interprétations. Il groupe des idées, mais sans les classer par catégories ni rechercher leur enchaînement logique. II nous abandonne la joie des découvertes à faire dans ce foisonnement et nous laisse libre de tout rapprochement qui pourrait nous tenter entre sa pensée et celle des grands maîtres des sciences européennes qu’ont été, avant lui, des hommes comme Henri Pirenne, Paul Valéry ou André Siegfried, dont il assure la succession. ♦