L’énergie nucléaire. Quelles politiques pour quel avenir ?
La crise du pétrole, née fin 1973 de la prise de conscience par les pays producteurs de la puissance de l’arme économique et politique que représentait la détention de cette matière première, a entraîné des conséquences de tous ordres : accroissement de l’inflation dans les pays occidentaux, croissance réduite et même récession économique, achèvement du démantèlement du système monétaire international, accroissement de la dépendance du monde occidental vis-à-vis des pays producteurs. L’énormité des transferts monétaires vers ces derniers pays, pour une trop large part inutilisés dans des activités productrices, agit comme un formidable facteur de ralentissement de toute activité économique quelle qu’elle soit, socialiste ou capitaliste. Au-delà des indispensables économies d’énergie et d’une inévitable inflexion de la croissance, cette dernière doit se poursuivre si l’on veut réduire les inégalités et les tensions tant entre catégories sociales à l’intérieur des divers pays qu’entre pays développés et moins développés.
Cette croissance économique exigera celle de la consommation d’énergie. Face au défi du pétrole, l’uranium est (avec peut-être le charbon dans certaines régions du globe) la seule ressource énergétique qui soit à la hauteur des besoins. Quelle place pourrait prendre l’uranium et quel rôle assumer dans les bilans énergétiques de l’avenir ?
En faisant le point de ces problèmes, l’auteur, qui est chargé des études économiques générales au Commissariat à l’énergie atomique, examine les perspectives et les enjeux d’une stratégie énergétique basée sur le nucléaire.
Qu’apporte le volet perspectives ? Tout d’abord une classification et une évaluation homogènes des ressources en uranium et en combustibles fossiles dans le monde, montrant notamment l’énormité du potentiel énergétique des réserves ultimes d’uranium utilisé dans les centrales surrégénératrices du type Superphénix, de l’ordre de cinq fois les réserves ultimes de charbon et cinquante fois celles de pétrole. Le livre montre en outre que le recours en proportion croissante à ces centrales surrégénératrices devrait contenir à terme le prix directeur de l’électricité dont le coût de production, à partir des centrales de la génération actuelle à eau ordinaire, est d’environ les deux tiers de celui produit à partir du fuel oïl. La demande d’énergie nucléaire pourra donc devenir très importante, l’offre étant abondante et à bas prix.
Le volet enjeu souligne l’importance du nucléaire en tant qu’instrument de politique économique nationale, contribuant à la sécurité d’approvisionnement en énergie, au maintien à long terme de la compétitivité des appareils de production hypothéquée par les hausses passées ou à venir des prix du pétrole, au rééquilibrage des balances de paiements, donc à la préservation du niveau de l’emploi et de celui de la croissance économique. Rappelons qu’une centrale nucléaire de 1 000 MWe économise 1,5 million de tonnes de pétrole par an et 500 millions de francs par an en devises. Si une pénurie physique de pétrole n’est pas à craindre d’ici l’an 2000, il n’en est pas de même d’une tension sur le prix de cette matière première et du risque d’une pénurie de devises pour la payer.
En régime de taux de change flottants et au sein d’une économie mondiale de plus en plus interdépendante, tout flottement en baisse de la monnaie entraîne une dégradation des soldes des balances des paiements et une dépréciation monétaire. Inversement, toute hausse inflationniste des prix intérieurs se traduit par une dégradation des soldes des balances de paiements incitant à un tel flottement. Le recours au nucléaire est donc de deux manières anti-inflationniste. Par la réduction des achats de pétrole à l’étranger, il améliore les soldes des balances de paiement ; par la diminution des coûts de l’énergie, il réduit la hausse des prix intérieurs. Certes, une centrale nucléaire coûte 70 % plus cher qu’une centrale thermique au fuel, mais les chaînes de production de la mine à l’usine de retraitement pour le nucléaire, du puits à la raffinerie pour le pétrole sont sensiblement aussi capitalistiques l’une que l’autre, les circuits de financement étant toutefois différents.
Le livre de Lucien Thiriet constitue un ouvrage de référence indispensable à tout lecteur désireux d’approfondir les problèmes du développement nucléaire et de la politique énergétique. ♦