Dans une récente allocution (12 décembre) aux meilleurs ouvriers de France, le président de la République citait les noms de trois batailles que nous avions à gagner : le franc, l'emploi, la croissance. Mais il en est une autre encore qui se joue sur le long terme, celle de la démographie. Que l'humanité compte 6 milliards d’âmes en l'an 2000, cette perspective n'a en elle-même rien d'alarmant. Ce qui est inquiétant pour nous, c'est que l'Europe n'en représentera peut-être alors que 13,8 %… Ce qui l'est plus encore c'est le contraste entre la frénésie vitale des peuples pauvres et l'atonie, la morosité et la peur du nombre des peuples riches… N'y a-t-il pas là, pour parler le langage de Arnold Tonybee, une « incitation de l'histoire » ? Faudra-t-il attendre qu'elle se concrétise dans le drame pour nous réveiller et cesser enfin nos mesquines querelles intestines ?
À nos portes mêmes, autour du bassin méditerranéen, les déséquilibres démographiques s'accroissent chaque jour et sont lourds de conflits potentiels. Soyons donc reconnaissants à un démographe, dont les articles dans Population et Sociétés (Bulletin mensuel de l'Institut national d'études démographiques, Ined) sont réputés, de nous aider à porter un regard lucide sur cette situation.
Qu’il soit bien entendu que le démographe ne prévoit pas les populations : il calcule des projections selon diverses hypothèses d’évolution de la fécondité et de la mortalité et il présente l’éventail des résultats obtenus. Il n’entend pas jouer le rôle de Madame Soleil, il ne prétend pas à celui de Kepler. Comment mesurerait-il à l’avance, dans le secret des consciences de millions de couples, les facteurs qui gouverneront leur choix de la dimension finale de leur famille, non seulement demain mais d’ici 20 ou même 50 ans ?
La démographie qui est probablement, parmi les sciences humaines, la plus « scientifique », la plus mathématique, est très à l’aise lorsqu’elle travaille sur le présent ou même sur le passé, s’il n’est pas trop éloigné ; elle est toute modestie et prudence lorsqu’il s’agit de prévoir l’avenir.
Des non-démographes, quelquefois très compétents dans leur propre discipline, partant de la constatation, récente, de la croissance démographique considérable de la population mondiale qui passe de 1,5 milliard en 1900 à quelque 4 milliards en 1976 ont extrapolé les courbes des quelques années passées sur les décennies à venir. Ils ont expliqué que la population mondiale pourrait compter 20 ou 30 milliards d’habitants dans un siècle. Trente est d’ailleurs plus satisfaisant pour la règle à calcul, puisqu’au taux de croissance moyen de 2 % l’an observé entre 1960 et 1970, c’est le chiffre que la courbe exponentielle frôlerait en 2075. Et pourquoi ne pas poursuivre le petit jeu — il est aisé avec les mini-ordinateurs de poche — qui nous conduit en cinq siècles à 80.000 milliards d’habitants !
Le rétrécissement du monde occidental
Le devenir du bassin méditerranéen
Politique et population