Dossier A… Comme Armes
Après Dossier S… comme Sanguinetti, Dossier D… comme Drogue, Dossier L… comme Larzac, etc., la collection dirigée par Jean Picollec nous livre un nouveau dossier sur les armes, ou plus exactement sur le commerce extérieur des armes tel qu’il est pratiqué par la France.
Après un bref avant-propos qui rappelle les justifications économiques et sociales de ces exportations (stabilité de l’emploi, équilibre de la balance commerciale, allongement des séries rendu nécessaire par l’exiguïté du marché intérieur), le livre se divise en trois parties : « la France marchand de canons », « le commerce tous azimuts » et « le trafic ».
Le simple rappel de ces titres montre que l’auteur – qui n’a pas révélé sa véritable identité comme c’est la règle pour l’ensemble de la collection – s’est surtout intéressé à décrire les filières, les circuits de distribution et le rôle des différents opérateurs et intermédiaires.
L’activité des entreprises, regroupées par secteurs, fait l’objet de descriptions simples et claires, à défaut d’être complètes et toujours exactes : les dix Établissements des Poudres ne dépendent pas directement de l’État, puisque les plus importants ont été apportés à la Société nationale des poudres et explosifs (p. 9 - note 32), et la SOFRANTEM qui est surtout une émanation de la Société générale est une société de financement et non pas de vente (p. 60). De même, le partage des responsabilités entre les différentes administrations (Direction des Affaires internationales de la Délégation ministérielle pour l’armement et Secrétariat général de la Défense nationale – SGDN) n’est pas toujours décrit avec exactitude. Reprenant une information erronée souvent reprise par Jacques Isnard dans Le Monde, on indique que le secrétariat régulier (sic) de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) est assuré par la DAI ; alors qu’il l’est par le SGDN. L’auteur paraît également se laisser entraîner par son imagination quand il décrit la composition et le fonctionnement de la CIEEMG (p. 45 et 119). Quant à la structure de la DAI, il suffit d’ouvrir le Bottin administratif pour savoir qu’elle dispose non pas seulement de deux sous-directions (coopération et expansion), mais de quatre, dont précisément une sous-direction chargée du contrôle du commerce international des matériels de guerre.
À partir d’une intelligente compilation des informations de presse françaises et étrangères – en particulier les enquêtes de Jean-Pierre Mithois dans Le Figaro – l’auteur a pu reconstituer les activités réelles ou supposées du principal marchand d’armes, Samuel Cummings, et des autres intermédiaires comme « Monsieur A.K. », alias Adnan Khashoggi, alias Antoine Kamouh, disparu mystérieusement en 1973.
Une partie importante de l’ouvrage est consacrée à l’historique des ventes d’armes dans certains pays. Israël y tient, bien sûr, une place de choix ; on trouve également de longs et intéressants développements sur la Libye, le Biafra, le Portugal, l’Amérique latine et l’Afrique du Sud. Le « contrat du siècle » n’est pas oublié.
Mais quand l’auteur abandonne le récit historique pour tenter d’expliquer les différentes attitudes suivies par le Gouvernement, son argumentation n’est pas toujours très convaincante. Concernant par exemple le pays de l’apartheid, il considère que la politique d’embargo sélectif est celle du « double jeu ». Ce faisant, il surestime sans doute les capacités de l’Afrique du Sud à fabriquer elle-même des matériels sous licence.
Les principaux chiffres sont fort opportunément rappelés, mais ils ne sont pas toujours cohérents les uns avec les autres. (On confond – c’est une erreur fréquente – le montant des commandes et le montant des exportations, p. 9 et 47). Comment, par ailleurs, une commission de 45 millions de dollars peut-elle représenter 7,5 % d’un contrat de 30 milliards de francs « lourds » ? Passons sur le trop grand nombre de « coquilles » dont certaines produisent un effet plutôt comique. C’est ainsi que la SOFMA aurait été créée en… 1339 !
Vingt annexes qui sont des photocopies de documents officiels (comme le fameux chèque versé par les Soviétiques à l’agent libanais chargé du rapt d’un Mirage III – document n° 7 – ou la liste nominative des trafiquants d’armes établie par la Police de l’air et des frontières – document n° 19) peuvent contribuer à accréditer l’idée chez le lecteur qu’il dispose d’un véritable « dossier ».
L’ouvrage s’abstient de conclure. Après avoir rappelé (p. 231) que « dotée d’une des législations des plus restrictives en la matière, la France n’est pas le paradis des trafiquants d’armes », l’auteur s’interroge sur le point de savoir si la bombe atomique se trouvera un jour aux mains des terroristes. Question angoissante et qui méritait d’être posée.
En conclusion, un livre intéressant et documenté, bien écrit et clairement présenté, mais qui aurait gagné à être plus rigoureux dans les détails. ♦