L’Allemagne selon Willy Brandt
Malgré les contacts étroits établis depuis des années entre la France et l’Allemagne, non seulement à l’échelon gouvernemental mais aussi entre les hommes, de récents malentendus donnent parfaitement raison à Alfred Grosser lorsqu’il dit dans sa préface qu’en ce domaine, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître et comprendre. Ce livre correspond donc à un véritable besoin. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les publications sur les problèmes actuels de la République fédérale d’Allemagne (RFA) – de même que les publications d’outre-Rhin sur la France – sont assez rares. L’auteur fournit une ample documentation avec un effort d’objectivité fort louable. Dans trois entretiens prolongés, il donne, en effet, l’occasion aux chefs des trois grands partis allemands d’exposer librement leurs vues : Willy Brandt pour les sociaux-démocrates (SPD), Hans-Dietrich Genscher pour les libéraux (FDP) et Helmut Kohl pour les chrétiens-démocrates (CDU). Sans doute les interviews représentent-elles des formes vivantes et faciles à lire, mais on peut se demander s’il n’aurait pas fallu les appuyer par des exposés plus approfondis sur les différents éléments de la vie allemande, notamment sur les syndicats et les Églises, d’autant plus que les contacts franco-allemands sont dans ce domaine assez pauvres. On aurait pu souhaiter aussi une plus large information sur les mouvements extrémistes, dont le poids effectif est probablement réduit mais qui sont la cause d’un certain traumatisme de l’opinion publique et qui influencent par conséquent, au moins indirectement, l’action gouvernementale dans divers domaines assez délicats.
L’effort d’objectivité, renforcé par l’intention de fournir une documentation très valable, n’empêche pas un certain engagement. Le lecteur sentira assez vite que l’auteur souhaite discrètement le maintien au pouvoir de la coalition actuelle qui lui semble plus apte à donner à l’Allemagne une image moderne, ouverte et satisfaisante que l’opposition chrétienne-démocrate, laquelle, à le lire, paraît trop liée aux forces capitalistes. Le désir du modernisme ne devrait cependant pas faire sous-estimer la gravité de certains problèmes qui hypothèquent l’avenir de la RFA, telle la baisse brutale du nombre des naissances, ou qui vont déterminer demain le choix de beaucoup d’électeurs – c’est le cas de la réforme scolaire, parfois très mal acceptée par la population. L’évolution d’un pays dépend autant de ses structures, parfois profondément enracinées, que de la volonté de ses hommes politiques. Ne citons que deux faits économiques qui ne nous paraissent point négligeables : l’industrie d’outre-Rhin est plus endettée que celle de la France : ses investissements ont sensiblement fléchi au cours des dernières années, le retard ayant été évalué par l’organisation patronale au début de l’année 1976 à 100 milliards de deutsche mark (DM).
Ces observations quelque peu critiques ne diminuent en rien la valeur du livre. Il faut porter à l’actif d’Henri Ménudier d’avoir eu le grand mérite de signaler la fragilité psychologique et politique toujours très sensible de la RFA et d’avoir montré qu’on ne saurait la suspecter d’une véritable volonté de puissance. Si l’on oublie ces deux données, on ne saurait comprendre l’Allemagne actuelle. ♦