L’antimilitarisme en France, 1810-1975
Il ne faut pas chercher dans les grands dictionnaires une définition précise de l’antimilitarisme. Sans doute est-ce parce que le fait antimilitariste est multiforme dans ses aspects et varié dans ses motivations, de l’horreur de la guerre au refus de l’armée en tant qu’institution, du refus de porter l’uniforme à la désertion, voire à la trahison. S’il est vrai qu’il ne s’est constitué durablement qu’avec l’institution du service militaire obligatoire, il a eu des précédents : les conscrits du Ier Empire qui, ayant tiré un mauvais numéro, se lamentaient de devoir quitter leurs villages, les libéraux qui invitaient les soldats de la Restauration à déserter l’armée de l’expédition d’Espagne, les républicains hostiles aux entreprises de Napoléon III en ont témoigné. Puis il y a eu l’antimilitarisme des intellectuels à l’« âge des casernes » dans les années 1880 ; celui des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires ; celui d’Aragon et des surréalistes ; celui de Giono, de Vian, de Sartre, de Prévert… Il est inséparable de l’anarchisme.
À une certaine époque, les socialistes s’en firent les hérauts. L’hostilité que les communistes avaient d’abord manifestée à toute armée sans exception céda vite la place à la défense et à la glorification de la seule Armée rouge, au détriment de celles des États « bourgeois » qu’ils continuèrent de combattre. L’objection de conscience se veut parfois religieuse, parfois libertaire. Le phénomène n’avait jamais été étudié. Aussi bien le livre de Jean Rabaut comble-t-il une lacune. Il ne s’agit pas d’une analyse des données du problème, mais d’une présentation de nombreux textes, assortie de rappels historiques destinés à replacer les témoignages (chansons, poèmes, articles, etc.) dans leur contexte. C’est donc une anthologie que présente Jean Rabaut. À cette lecture apparaît un fait majeur : la part prise dans cette contestation de la guerre et de l’armée par la littérature et les écrivains, ce qui permet de considérer l’antimilitarisme comme un fait marginal, auquel on ne peut donner une dimension nationale. ♦