Au carrefour du destin : Weygand, Pétain, Giraud, de Gaulle
René Chambe est un officier général de l’Armée de l’air, chasseur, aux états de service particulièrement brillants. Il est aussi un écrivain de talent, doué de beaucoup d’imagination, auteur de plusieurs romans, de récits de guerre et de carnets de souvenirs. Par son nouveau livre, il veut accéder à la dignité d’historien. C’est beaucoup d’ambition. Il est difficile, puisque l’auteur lui-même y insiste, de se méprendre sur le fait qu’Au carrefour du destin n’est qu’une thèse, c’est-à-dire une sélection de faits et de témoignages effectuée dans le but d’illustrer une théorie, de démontrer une proposition. Et dès qu’il s’agit de sélection, on sort bien évidemment du domaine de la recherche historique.
Cette thèse de René Chambe est très clairement présentée : les quatre personnalités auxquelles est consacré le livre ont à un moment ou à un autre – crucial pour le pays – « manqué à leur destin » en faisant une « erreur de cap » qui les a empêchés – et la France avec eux – d’arriver à bon port. C’est intéressant, mais ce n’est pas suffisant pour permettre de comprendre tout le déroulement des événements d’une période et les motivations des acteurs.
Très heureusement, les développements de René Chambe contiennent beaucoup de souvenirs personnels, car il approche de près, dans des circonstances souvent significatives, la plupart des protagonistes et surtout le général Giraud dont il a été en Algérie, de 1942 à 1944, un des plus proches collaborateurs. Les récits qu’il nous fait de ses rencontres avec les personnages clés de l’heure bénéficient de ce talent de conteur et de metteur en scène dont il a fait preuve dans ses ouvrages précédents. Certains de ces récits, du fait de leur contenu, la plupart du temps inédit, constituent des documents précieux sur des comportements restés obscurs et mal connus. Une autre caractéristique de ces témoignages est la sincérité et l’objectivité de l’auteur. Mais s’il s’interdit de déformer les faits, il n’hésite pas à les interpréter aussitôt dans son optique personnelle qui ne manquera pas de paraître arbitraire à de nombreux lecteurs. D’autant plus que son argumentation contient beaucoup de « si », ce qui n’a jamais été la meilleure façon de convaincre.
Tout cela fait toucher du doigt la difficulté d’être à la fois témoin et historien, mais ne doit pas détourner de la lecture de cet ouvrage bien écrit, vivant, coloré et respectable par l’ardeur des convictions qu’il exprime. ♦