Empereurs sans sceptre
Le titre français choisi pour cet ouvrage écrit en anglais est à proprement parler sibyllin, car avec la meilleure volonté du monde il est impossible de deviner ce qu’il contient quand on le voit à une devanture. Heureusement, la page de titre intérieur (mais il faut prendre en main le volume et l’ouvrir !) donne en sous-titre la clé du mystère : Histoire des Administrateurs de la France d’outre-mer et de l’École coloniale. À la bonne heure ! On sait maintenant de quoi il s’agit. Et on devine même la thèse de l’auteur (ou du moins l’une de ses thèses) : l’administration coloniale française est née et s’est développée, par la force des choses (éloignement, manque d’intérêt politique de la part de la métropole, etc.), sous le signe d’une décentralisation qui permettait à chaque commandant de cercle d’assumer la plénitude des pouvoirs dans la circonscription qui lui était confiée.
C’est certainement exact, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant dans le livre. En fait, l’auteur nous présente, à travers une étude très fouillée de ce que furent les cadres civils de l’empire français (origine, formation reçue, motivations, action sur le terrain), toute l’histoire de l’administration par la France de ses possessions lointaines.
Ce n’est pas un mince sujet, ni un sujet secondaire, et il n’avait pas encore été traité, à notre connaissance, sous l’optique particulière choisie par William B. Cohen. Il est à la fois assez surprenant et en même temps très satisfaisant de constater que ce dernier est un universitaire américain et que son ouvrage constitue une thèse présentée à l’Université de Stanford. On est frappé par la recherche de l’information de l’auteur, par la somme de documents qu’il a consultés et la précision des enquêtes qu’il a faites. Et on est étonné de la compréhension qu’il manifeste de toute une série de problèmes liés à des mentalités et à des réactions pourtant spécifiquement françaises. Certes, son livre est sans complaisance. Mais il n’y a aucun doute non plus que l’ensemble de l’œuvre administrative accomplie par la France auprès des populations indigènes y apparaît sous son vrai jour, c’est-à-dire comme très remarquable.
On regrettera que l’étude soit presque exclusivement centrée sur l’Afrique noire. Des ouvrages de cette qualité sur l’Afrique du Nord et sur l’Indochine seraient eux aussi les bienvenus. ♦