Les États-Unis et le « défi » européen 1955-1958
Les États-Unis ont toujours eu, à l’égard de l’intégration européenne, une attitude sinon équivoque, du moins troublée par des contradictions. En 1945, ils rêvaient de reconstruire le monde dans une perspective mondiale excluant toute organisation trop étroitement régionale. Ce n’est qu’à partir des grandes crispations de la guerre froide qu’ils portèrent une attention particulière à l’Europe occidentale où de nombreuses voix s’élevaient en faveur de l’unification politique.
La « doctrine Truman » définie à propos de la Grèce et de la Turquie faisait de l’assistance économique et financière un moyen par lequel pouvait être évitée la subversion politique. En juin 1947, le « plan Marshall » apporta cette aide à tous les États européens qui la souhaitaient, à charge pour ceux-ci de s’entendre pour sa répartition : celle-ci fut confiée à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui fut la première institution européenne, le Conseil de l’Europe n’ayant été mis en place qu’en 1949. Mais si les États-Unis ne furent pas associés à la création de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), ils apportèrent leur appui au projet de Communauté européenne de défense (CED), qui visait à créer une armée européenne intégrée dans le cadre de l’Otan et qui, en outre, dans l’esprit de ses promoteurs, devait constituer une seconde communauté fonctionnelle destinée, comme la CECA, à devenir le fondement d’un édifice politique. Son échec, le 31 août 1954, marqua une date importante dans l’histoire de la construction européenne. Il a été le point de départ du travail de M. Pierre Melandri, professeur à l’Université de Montpellier, qui a voulu étudier l’attitude des États-Unis à l’égard de l’Europe entre cet échec du projet de CED et la mise en œuvre du Marché commun. C’est que la seconde fut une suite logique du premier : dès l’automne 1954, après les Accords de Paris, qui réglèrent le problème du réarmement allemand, les Européens décidèrent de reprendre leur effort. La Conférence de Messine ouvrit les travaux qui devaient aboutir au Traité de Rome. Mais alors que les États-Unis s’étaient intéressés directement au projet de CED, qui s’inscrivait dans la perspective d’un renforcement de l’Otan, ils n’intervinrent pas dans la « relance » européenne qui suivit son échec. Tout au plus l’approuvèrent-ils parce qu’ils y voyaient un facteur d’organisation de l’Europe. Sceptiques sur les possibilités d’une détente réelle, ils s’interrogeaient sur certaines orientations prises par les partisans de la construction européenne, et ils étaient de plus en plus partisans d’un renforcement de l’Otan, auquel ils donnaient la valeur d’une priorité.
Les années 1955-1958, marquées par les événements comme la crise de Suez, qui affecta sérieusement la cohésion atlantique, ont témoigné d’une méfiance américaine à l’égard de l’Euratom (Europe atomique), d’un soutien sans réserve à la CEE et en même temps d’une volonté de concertation approfondie avec des pays qui ne jouaient pas le jeu européen, notamment la Grande-Bretagne. Ainsi se trouvent délimités tous les éléments (politiques, économiques, militaires) de la crise atlantique des années 1960. Les réactions provoquées aux États-Unis fin 1958 par l’échec des négociations sur la zone de libre-échange (imaginée par Londres pour « contrer » le Marché commun) montrèrent que la mise en œuvre du Traité de Rome était presque considérée à Washington comme portant atteinte à la communauté atlantique. La Communauté économique européenne (CEE) devenait un rival pour l’économie américaine.
M. Pierre Mélandi a étudié cette évolution des esprits avec un souci d’exhaustivité qui fait de son livre un précieux instrument de travail même si, parfois, il mêle des opinions personnelles à l’analyse objective des faits. ♦