Onoda. 30 ans seul en guerre
De temps à autre – et pas plus tard qu’entre Noël 1974 et le 1er janvier 1975 –, la presse nous apprend qu’un soldat japonais, vivant isolé depuis 1945, dans une île du Pacifique, s’est rendu. Ce genre d’information n’est pas près de disparaître car, si l’on en croit les statistiques japonaises, plusieurs centaines de combattants japonais vivent encore dans les îles du Pacifique.
Pourquoi une telle obstination à refuser la défaite ? Le livre que Gérard Chenu et Bernard Cendron viennent de consacrer au sous-lieutenant Onoda qui tint la jungle, dans l’île de Lubang (Philippines) du 4 mars 1945 au 9 mars 1974, essaie de répondre à cette question.
Comme seuls les Japonais ont considéré comme provisoire la défaite de leurs armées ou ont refusé de rentrer dans un pays vaincu, on serait tenté d’y voir un phénomène spécifiquement japonais. Le fait que le milieu familial d’Onoda soit très traditionaliste tendrait à confirmer cette hypothèse. Mais les auteurs montrent qu’avant d’être incorporé dans l’armée, le jeune Onoda s’était, en grande partie, libéré de cette empreinte. Le passage d’Onoda à l’école de Nakamo, qui formait de jeunes officiers destinés à remplir des missions spéciales, le dégagea encore plus des traditions.
Certains ont voulu voir, dans ces luttes solitaires, l’expression d’un militarisme japonais dont les cours de Nakamo auraient constitué la quintessence. Dans le cas d’Onoda, cette deuxième hypothèse paraît difficilement soutenable. Il a été envoyé à Lubang pour retarder le débarquement américain en détruisant les pistes des aérodromes et les ports puis en menant une guérilla contre les envahisseurs. Aucune limite dans le temps n’a été fixée à cette mission. Onoda applique strictement les ordres reçus. Or, cette religion de la mission n’est pas particulière à l’armée japonaise. Il paraît donc délicat de répondre à la question posée.
En réalité, ce livre pose des questions bien plus importantes à tous ceux qui veulent réfléchir au problème de la poursuite du combat après l’invasion du territoire et la disparition des structures nationales.
Qui continue à se battre ? Onoda est un homme qui connaît son adversaire : à Nakamo, il a suivi des cours sur l’armée américaine. Mais c’est aussi, un homme qui s’est préparé intellectuellement et physiquement à lutter seul ou avec un petit groupe : l’absence de hiérarchie et la solitude ne le démobilisent pas. Une nature hostile ne l’effraie pas car il a appris à survivre.
Comment continuer à se battre ? La réponse paraît évidente : en appliquant les principes de la guérilla et en sachant comment survivre. Les deux auteurs ont su nous l’expliquer : ils décrivent minutieusement les erreurs de tactique qui ont coûté la vie au dernier compagnon d’Onoda ou qui ont failli, à plusieurs reprises entraîner la capture des Japonais. Ils révèlent également les règles de vie extrêmement sévères qu’Onoda s’imposa à lui-même comme aux hommes qui l’ont suivi : grâce à elles, l’homme qui s’est rendu aux autorités philippines le 9 mars 1974 était en parfait état de santé.
Le livre de Gérard Chenu et de Bernard Cendron est ainsi bien plus qu’un simple récit d’aventures exceptionnelles dont la lecture passionnera jeunes et moins jeunes. ♦