Sociologie des relations internationales
Pourquoi une « sociologie » des relations internationales, alors qu’il existe déjà de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire diplomatique, au droit international ou aux institutions internationales ?
C’est précisément parce que les différentes approches, chronologiques ou sectorielles, ne donnent accès qu’à des fragments de la réalité internationale. Celle-ci constitue, surtout à notre époque, un ensemble dont on ne peut dissocier les éléments sans risquer de perdre la signification du tout. Entre la démarche du juriste, de l’économiste ou de l’historien, et le flot incessant des événements qui marquent l’actualité, il y a place pour une réflexion systématique sur la nature et sur la spécificité du phénomène international.
L’éclairage de la sociologie permet tout d’abord d’introduire plus de rigueur dans une investigation qui reste trop souvent dominée par les passions, les préjugés et les idéologies. C’est pourquoi la première partie de l’ouvrage est consacrée à l’exposé critique des différentes constructions intellectuelles et des diverses méthodes habituellement utilisées, en Europe ou aux États-Unis, chez les penseurs libéraux comme chez les marxistes, pour le traitement des relations internationales.
Mais la sociologie procure aussi des catégories d’analyse qui conduisent à renouveler la problématique du sujet. La notion d’environnement, les concepts d’acteur et de rôle, le recours au modèle systémique, permettent de classer et d’assembler les morceaux de ce puzzle gigantesque que constitue la société internationale dans laquelle nous vivons. Dans cette perspective, les constantes et, surtout, les changements qui caractérisent le monde contemporain, par rapport aux étapes antérieures de son évolution, apparaissent en pleine lumière : un monde « fini » dont les ressources s’épuisent alors qu’il est menacé d’« encombrement », un monde clos sur lui-même dont les contradictions se recoupent et s’accumulent à tous les niveaux de l’activité sociale, un monde interdépendant qui peut avancer vers plus d’unité mais qui peut aussi, en sombrant dans la violence, basculer sous la domination d’un seul ou s’anéantir dans la destruction.
Si l’issue de ce grand débat demeure inconnue, l’étude de la dynamique du système international permet au moins de saisir les ressorts, souvent cachés, de l’évolution. Ce n’est plus seulement au niveau de l’activité des gouvernants que se déroule le jeu international. Il existe une correspondance de plus en plus étroite entre la crise du système mondial et les perturbations qui ébranlent le système étatique. Les affrontements entre groupes sociaux et la remise en cause des valeurs qui fondaient la cohésion nationale sont des facteurs aussi bien que des enjeux d’une compétition planétaire, dans laquelle les frontières s’estompent de plus en plus entre le « national » et « l’international », entre le « privé » et le « public », entre le « politique » et l’« économique ».
Autant dire que si l’investissement sociologique éclaire d’un jour nouveau les phénomènes internationaux, la prise en considération de la dimension internationale devrait conduire à réviser les présupposés d’une sociologie et d’une science politique, qui se confinent trop souvent dans une sorte de « provincialisme ».
Au moment où la « mondialisation » de notre politique est mise en vedette, l’ouvrage de Marcel Merle illustre opportunément ce concept. Il traduit l’avènement d’un système clos et unifié dont toutes les parties sont indépendantes et dont toutes les contradictions, faute de pouvoir être rejetées à l’extérieur, s’accumulent et s’entrecroisent à l’intérieur du système. « Il en résulte des tensions entre les sous-systèmes et jusqu’au sein des unités constitutives ».
Faut-il faire exploser le système, comme le souhaitent les gauchistes, ou gérer la crise ? Ne vaut-il pas mieux faire en sorte que les principaux acteurs – et il ne s’agit plus seulement des États mais de tous les groupes sociaux dont les pressions s’exercent à travers les frontières – renoncent au risque d’affrontement et « mettent leurs forces en commun pour atténuer les déséquilibres » ? Ira-t-on vers une accentuation délibérée ou au contraire une réduction concertée des conflits ?
On voit par ces questions d’une brûlante actualité que ce livre ne concerne pas seulement les étudiants et professeurs de science politique, mais également tous ceux qui se penchent sur les problèmes de conflits et de défense – et tout particulièrement les milieux de l’enseignement militaire pour qui la Sociologie des relations internationales devrait servir d’ouvrage de base, indispensable à l’approfondissement des connaissances et de la réflexion. Il s’adresse enfin à tout esprit soucieux de comprendre son temps, s’il est vrai comme le disait déjà Bossuet, qu’« il serait honteux, je ne dis pas à un prince, mais en général à tout honnête homme d’ignorer le genre humain ». ♦