Science et bonheur des hommes
Dans une strophe bien connue d’un poème aux belles sonorités, Anatole France évoque l’affinité de goûts qui unit « parfois, en leur mûre saison » … « les amoureux fervents et les savants austères… ». En refermant le très pertinent ouvrage que Louis Leprince-Ringuet vient de consacrer au rôle et aux retombées sociales de la science, c’est à ces vers que nous avons pensés pour caractériser, tous ensemble, la résonance de l’œuvre et la philosophie de son auteur. En effet, dans leur rigueur scientifique, les réflexions que nous livre Leprince-Ringuet sont celles d’un homme profondément amoureux de toutes les manifestations de la vie.
L’expérience de l’auteur l’a placé, tout au long d’une carrière consacrée à la recherche et à l’enseignement « en prise directe » avec quelques-uns des problèmes les plus graves qui se posent aujourd’hui à l’homme et à la société qu’il a construite. Parmi ceux-ci : la finalité des sciences fondamentales, l’utilité des techniques, l’éducation et, pour conclure, les conditions de survie de notre civilisation. C’est de ces problèmes qu’il nous entretient d’une façon simple et directe, sans prétention à un quelconque magistère, sans non plus chercher à épuiser les sujets qu’il aborde, mais en se bornant à les jalonner de quelques indications judicieuses, puisées dans le très riche arsenal de ses réflexions personnelles.
Sans jamais insister et sans vouloir le moins du monde imposer ses thèses, Leprince-Ringuet nous suggère que c’est en adoptant une démarche inspirée de celle de la recherche scientifique que l’homme aurait le plus de chances de rencontrer le bonheur. De même que la condition du progrès dans les sciences fondamentales passe par une perpétuelle remise en question de l’acquis et que toute idée nouvelle est reçue par le chercheur avec joie et ferveur parce qu’elle contient peut-être la clé de l’avenir, de même dans la vie courante l’homme doit-il rester ouvert à toute sollicitation contenant une perspective de renouveau. Sa faculté d’accueil – ce terme d’accueil revient constamment sous la plume de l’auteur – doit toujours être en éveil. Les jugements négatifs de rejet systématique aboutissent inexorablement à la sclérose et finalement au désespoir. L’avenir ne s’ouvre qu’à ceux qui le guettent et qui sont prêts à lui faire fête.
Ce thème principal est illustré de nombreux exemples contés sur le ton de l’entretien familier. Ils ont valeur de témoignage et parfois de confidence. Rien n’est absolument original, mais tout est bien agencé et présenté avec bonheur et talent. ♦