André Malraux
Une abondante littérature a déjà été consacrée à André Malraux en tant qu’écrivain et artiste. Par contre, la vie du personnage dans le siècle (pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage de Jean Lacouture dans un sens légèrement plus restrictif, sans doute, qu’il ne l’entendait) est assez mal connue, en partie, parce qu’il s’est lui-même ingénié à en brouiller les pistes. Jusqu’à présent, elle n’a pas fait l’objet, à notre connaissance, d’études d’ensemble tant soit peu complètes pour ne pas dire exhaustives.
C’est peut-être ce vide, cette absence d’information concrète sur l’homme au jour le jour, qui a tenté le journaliste averti et curieux de toutes choses qu’est Jean Lacouture. L’enquête qu’il a menée pour reconstituer les moindres incidents de l’existence heurtée et tumultueuse d’André Malraux est tout à fait remarquable et digne d’éloges par la multiplicité des sources utilisées, par l’intelligence de leur interprétation, et par l’habileté de leur agencement. Il est bien certain qu’aucune biographie d’André Malraux – quand l’heure du bilan « consolidé » aura vraiment sonné – ne pourra ignorer la somme de références de toute première main réunies par Jean Lacouture.
L’intérêt et l’originalité de ces références sont, à vrai dire, quelque peu inégaux. Sur la jeunesse de Malraux (en gros : jusqu’à son premier retour d’Indochine), Lacouture a surtout puisé dans le très beau livre de souvenirs de Clara Malraux (1). Pour la période gaulliste de l’après-guerre (celle de la notoriété politique de l’écrivain), il a été confronté avec une très grande abondance de sources et a dû faire un effort pour trier les informations, plutôt que pour les découvrir. Par contre, la plupart des renseignements qu’il a rassemblés sur les années de 1926 à la déclaration de guerre sont inconnus ou inédits ; ils lui ont permis de brosser un panorama extrêmement intéressant de la vie, des tribulations et de l’influence de l’intelligentzia parisienne de l’entre-deux-guerres, en particulier dans ses relations avec les milieux analogues en Europe, en Russie et même en Amérique.
Cependant, l’œuvre proprement littéraire d’André Malraux n’est pas pour autant laissée de côté, loin de là. Mais Jean Lacouture (sauf en ce qui concerne les Antimémoires et certains écrits politiques) nous a paru moins sûr de lui pour l’apprécier. Aussi se retranche-t-il assez volontiers dans ce domaine – et nous ne pouvons que l’approuver – derrière l’autorité des critiques plus spécialisés que lui dans les jugements littéraires : Gaétan Picon, Georges Gabory, ou llya Ehrenbourg, pour n’en citer que quelques-uns.
Il en résulte dans le déroulement du récit de Jean Lacouture, sinon des fausses notes, du moins quelques contrepoints. Mais qu’importe après tout ! Il ne s’agit ici que d’une première approche de Malraux ; d’une biographie, si l’on veut, mais « intérimaire ». ♦
(1) Nos vingt ans ; Éd. Grasset, 1966.