Il y a cent ans, la République
André Guérin est un journaliste qui suscite l’adhésion ou le refus, jamais l’indifférence. Avec 1871, la Commune et La folle guerre de 1870, il s’était révélé bon historien. Voici qu’avec Il y a cent ans, la République, il nous donne un livre d’un extrême intérêt. Sans doute n’apporte-t-il pas de documents nouveaux. Mais le temps n’a pas atténué les passions. Des hommes comme Ferry, Gambetta, Clemenceau, restent présents parmi nous, non comme des statues mais comme des combattants dont on partage ou désapprouve les prises de position. En fond de tableau apparaissent les masses, qui n’ont laissé dans l’histoire que des cris d’espoir ou de haine, mais sans qui l’on ne peut comprendre l’évolution des mœurs et des mentalités. Thiers, Mac Mahon, Gambetta, les « trois Jules », Simon, Grévy, Ferry et Floquet, et Dupanloup, oui sans doute, mais aussi un accompagnement populaire qui, d’année en année, se fait plus distinct.
Vaincue, amputée, démoralisée, la France avait perdu son rang européen et elle n’avait même plus de régime. Après la déchéance de l’Empire, elle vivait sous un statut provisoire qui n’avait de République que le nom, sous une majorité vaguement conservatrice issue de la défaite et de la peur. Comment le pays s’est rétabli, a remis ses affaires en marche, a payé son tribut au vainqueur et s’est donné un régime définitif qui s’est appelé République, telles sont les grandes lignes du livre d’André Guérin. Cette République a ôté toute chance aux royalistes et aux bonapartistes, en exploitant leurs divisions et en opposant aux hommes du passé des nouveaux venus pleins de talent et d’audace. Elle a recréé une armée, mis en place une administration, instauré l’école publique gratuite, obligatoire et laïque, imposé sa volonté à un cléricalisme dont la capitale était Rome beaucoup plus que Paris, elle a fait prévaloir le drapeau tricolore comme emblème et la Marseillaise comme hymne national. Rien de tout ceci ne pouvait s’accomplir aisément…
André Guérin insiste particulièrement sur la part qui revient à l’instauration de l’enseignement primaire. Ce fut une œuvre de foi, disent certains. Oui, mais ajoute-t-il, « elle n’aurait pas abouti si la religion nouvelle du salut national par l’instruction n’avait pénétré les esprits d’une véritable passion, dans les villes d’abord, peu à peu jusque dans les campagnes »… Il y a plus. « Tous les instituteurs, par définition dirait-on, sont patriotes… Neutralité religieuse, oui. Mais non pas neutralité politique, car l’école ne peut ignorer les devoirs envers la République et envers la France. L’écolier, c’est le conscrit de demain »… Une génération est ce que la font ses maîtres. C’était vrai il y a un siècle, c’est vrai aujourd’hui… ♦