Bengale, histoire d’un conflit
Il n’est pas certain que l’opinion publique en France ait fait preuve d’une grande maturité politique dans son appréciation courante des événements du Bengale. Elle a eu, nous semble-t-il, trop tendance à les confondre avec un de ces cataclysmes naturels comme il s’en était produit souvent – et encore tout récemment – dans ce pays : affaire de charité publique et de solidarité du ressort de l’abbé Pierre ; péripétie locale, plutôt que tournant historique à l’échelle mondiale.
Le livre de François Massa veut nous alerter sur la portée réelle et la signification politique de ce qui s’est passé. Il est évident, selon l’auteur, que la situation des populations du Bengale, pour tragique et révoltante qu’elle ait été, n’explique pas à elle seule l’intervention de l’Inde, trop souvent indifférente à l’oppression et à la misère à l’intérieur de ses propres frontières : ce que voulait en réalité le gouvernement d’Indira Gandhi c’était en découdre avec le Pakistan pour assouvir la haine religieuse et raciale qui oppose ces deux pays depuis la Partition et pour venger les humiliations militaires subies en 1962 face à la Chine et en 1965 au Cachemire.
Mais ce n’est pas encore l’essentiel. Ce qui aurait dû surtout retenir l’attention, c’est l’étonnante partie de poker diplomatique à l’échelle des grandes puissances qui s’est jouée à propos de ce conflit localisé, dont l’enjeu, après tout, n’était pas essentiellement différent de celui des guerres sécessionnistes du Katanga ou du Biafra. On peut à juste titre admirer l’habileté de Mme Indira Gandhi qui réussit, en temps voulu, contre toute attente et même contre toute logique, d’abord à obtenir le soutien de l’URSS – mieux : un traité d’alliance en bonne et due forme – et ensuite, au cours d’une mémorable tournée en Europe et en Amérique, à neutraliser la plupart des oppositions pacifistes qui auraient pu la détourner de son but. Devant l’ampleur de l’engagement russe, la Chine et les États-Unis, traditionnellement favorables au Pakistan, ne purent se résoudre à relancer le débat autrement que par des déclarations verbales violentes, mais platoniques. La guerre était dès lors virtuellement gagnée. Les opérations sur le terrain ne furent plus qu’une sanglante formalité.
Mais, plus que l’accession d’un nouvel État à l’indépendance [NDLR 2020 : le Bengladesh], ce qui importe vraiment, c’est que l’hostilité entre l’Inde et le Pakistan ne s’est en rien atténuée et, surtout, que l’Inde et l’URSS ont fait subir un humiliant échec au Pakistan, à la Chine et aux États-Unis. Qui pourrait prétendre, dans ces conditions, que la partie est jouée ? Bien au contraire, n’a-t-elle pas fait naître de nouvelles et redoutables tensions qui constituent autant de menaces pour la paix dans le monde ?
S’agissant d’événements aussi récents et dont bien des détails essentiels n’ont pas encore été révélés, l’étude de François Massa ne pouvait être exhaustive. En fait, ses objectifs sont limités et plutôt que d’une véritable étude, il s’agit d’un fichier réunissant l’ensemble des renseignements « ouverts » disponibles, quelque peu hâtivement rassemblés pour satisfaire aux besoins de l’actualité. Néanmoins, les militaires apprécieront les indications très intéressantes relatives aux opérations et aux forces armées engagées dans le conflit : croquis clairs, tableaux précis, enseignements judicieusement tirés. Le style est alerte. ♦