L’Empire du Soleil Levant
Les guerres, dit le polémologue, ne sont que maladies des sociétés ; il n’est pour les prévenir que d’en connaître les causes, au pis, d’en déceler à temps les symptômes. Le conflit nippo-américain est sans doute le fruit d’une contagion, mais il a été surtout un mal spécifique « né de l’incompréhension mutuelle, des difficultés de langage, de mauvaises traductions, de l’opportunisme japonais, de sa fierté, de son honneur, du préjugé racial des Américains, de leur méfiance, de leur ignorance de l’Orient » et de leur conviction de détenir, pour être le peuple le plus puissant du monde, l’unique vérité.
Il est aussi né de la peur qui, à moins qu’elle ne paralyse, porte à toutes les violences, à toutes les audaces. Ainsi le Japon, qui a vu grandir au-delà du continent asiatique, l’ombre menaçante de l’URSS, s’est jeté dans l’aventure chinoise et s’est joint à l’Axe.
Les éblouissants succès des armées allemandes en Europe ont pour un temps pétrifié l’hydre soviétique. Pourquoi, dès lors, ne pas prendre aux pays vaincus la part du monde qu’ils n’ont pas plus de droits que lui d’occuper ? Cependant, l’Amérique, que la montée du nazisme inquiète et qui n’entend point être écartée du Pacifique, montre les dents. Il faut lui donner des apaisements, fussent-ils provisoires. De Tokyo à Washington, entre Togo et Cordell Hull s’échangent médiateurs et télégrammes. Par quelques malices du destin (qui dans la circonstance a bon dos), les uns se rencontrent sans s’entendre, les autres sont émis sans être reçus. Et c’est, le 7 décembre 1941, Pearl Harbour, la conquête fulgurante de toute la péninsule indochinoise et des Philippines.
Les bannières du Soleil Levant flottent sur Hong Kong et Singapour. Les flottes de l’empereur Hiro Hito croisent sur toute l’étendue des mers du Sud jusqu’aux eaux australiennes sans avoir perdu dans la bataille d’autre unité qu’un destroyer.
Après quelques mois de stupeur, les États-Unis se ressaisissent : avril 1942, les avions du général Doolittle larguent sur Tokyo quelques bombes symboliques. Un mois et demi plus tard, l’amiral Yamamolo subit devant les îles Midway son premier échec. Dès lors, le processus qui a conduit les Japonais à leur extraordinaire succès se renverse inexorablement, très lentement d’abord par la reprise de Guadalcanal, de Saipan, par l’émiettement des forces navales de l’amiral Tojo, la reprise de Leyte où MacArthur avait promis de revenir… et revient ; puis, très vite, tout le terrain conquis est repris après des combats devenus légendaires. 1944 : Iwojima, Okinawa tombent à leur tour. Les B-29 peuvent désormais bombarder impunément l’archipel nippon. Ce qui était criminel à Varsovie et à Londres devint héroïque à Osaka et à Tokyo où l’on relève au soir du 9 mars 1945, 130 000 morts.
Le Japon réduit aux ressources dérisoires de ses îles, incapable de remplacer des armes par ailleurs surclassées, parle de paix à Moscou. L’on en parle aussi à Potsdam où le président Truman apprend qu’il détient l’arme absolue et décide de s’en servir. Le 5 août 1945, l’Enola Gay du colonel Tibbets largue l’enfer sur Hiroshima. Moscou dont la médiation est de nouveau sollicitée, non seulement la refuse, mais encore rompt le pacte de non-agression avec Tokyo. C’est la curée. Par le bombardement de Nagasaki s’achève la guerre dans le feu, les larmes et le sang des vaincus.
Pour écrire ce livre, John Toland a reçu les confidences de quelques-uns des principaux acteurs du drame et recueilli les récits des plus humbles témoins de ces péripéties. Cette diversité, la rigueur des sources, leur abondance, l’authenticité de son émotion rendent son livre particulièrement attachant. Il est certes objectif, mais s’il n’excuse pas les déplorables excès et l’ambition folle des Japonais, il ne cache pas sa sympathie pour ce peuple qui, devenu « Troisième Grand », « a repris une place méritoire parmi les nations du monde. »
Nous saurons, lisant cette phase d’histoire, qui était l’empereur Hiro Hito, ce petit homme vêtu comme un chef de gare provinciale et dont MacArthur, après l’avoir reçu, a pu dire que « de par sa naissance, il était l’empereur, mais en cet instant je savais que j’étais devant le premier gentleman du Japon dans son bon droit. »
Nous saurons aussi pourquoi le président Truman a usé du châtiment suprême, alors que depuis longtemps le coupable demandait son pardon. Nous nous étonnerons enfin de cette phrase du vainqueur : « Si nous ne construisons pas un système plus grand et plus équitable, l’Apocalypse sera à nos portes ». Elle y est. Était-il nécessaire d’en tester les ravages ? ♦