Socialisation de la nature
Ce livre acerbe, virulent et courageux est propre à soulever la colère dans les milieux les plus divers et pour des raisons souvent diamétralement opposées.
Colère de ceux qui, excédés par le bruit, asphyxiés par l’air pollué des villes et bientôt des campagnes, altérés d’eaux limpides, militent ardemment en faveur de la protection de la nature – en lisant l’énumération de tous les crimes commis journellement un peu partout à travers la France contre l’environnement, crimes perpétrés dans l’ombre des bureaux et des conseils d’administration et dont la plupart, couverts du nom pudique de « dérogation » ne sont connus du public que quand il est trop tard pour réagir.
Colère des hommes au pouvoir et de ceux qui les servent – en voyant dénoncés, faits et textes à l’appui, leur imprévoyance, les lois qu’ils ont mal faites et les rapports équivoques qu’ils entretiennent avec les lobbys des promoteurs, des entreprises de construction et des industriels de l’automobile.
Colère de ceux dont la seule religion est celle du profit et qui ont compris depuis longtemps qu’on gagne infiniment plus d’argent à détruire la nature qu’à la protéger ; mais qui ne veulent pas qu’on le dise.
Colère enfin, des propriétaires des sols qui voient leur « droit sacré » contesté au profit d’une socialisation de la nature qui leur créerait l’obligation de gérer leurs biens non dans leur seul intérêt, mais dans celui de la collectivité.
La vérité n’est pas toujours bonne à dire. Mais Philippe Saint Marc estime que nous en sommes arrivés à un tel degré d’incohérence dans nos rapports avec le milieu naturel que le stade suivant, à très brève échéance, risque de nous confronter avec toutes les conséquences d’une totale et définitive faillite de notre société humaine.
Les remèdes existent cependant et Philippe Saint Marc, qui connaît ce dont il parle puisqu’il a été pendant 3 ans président de la Mission d’aménagement de la côte aquitaine, dresse très soigneusement l’inventaire des mesures techniques dont quelques-unes ont fait leurs preuves (à l’étranger, hélas ! plus souvent qu’en France) et qui sont aujourd’hui encore à la portée des gouvernants.
Mais il faut évidemment, comme en bien des choses, une ferme volonté politique, portant sur l’expansion industrielle, l’aménagement du territoire et les relations internationales. C’est au public qu’il appartient d’imposer cette volonté. Il y réussira dans la mesure où il prendra conscience – et ce livre l’y aidera – que le bien-être n’est pas seulement fonction du niveau de vie et de l’abondance des biens matériels, mais aussi et même avant tout, au stade de développement que nous avons atteint, fonction « des conditions de vie qui expriment l’environnement social et du milieu de vie qui traduit l’environnement physique d’une population ».
Cette étude très passionnée, comme on le voit, a peut-être le défaut de ne pas suffisamment « donner la parole à l’opposition ». Car, s’il est éminemment souhaitable de protéger les scarabées, il ne faut pas pour autant négliger l’animation humaine d’une région qui, parfois, ne peut être obtenue qu’au prix d’une infrastructure que certains jugeront dégradante, mais dont l’absence élargirait le domaine déjà suffisamment étendu du « désert français ». ♦