Rencontres avec… Charles de Gaulle
Voilà un livre passionnant et passionné, sans doute passionnant parce que passionné. Homme de parti, certes, l’auteur est également un patriote au sens plein du terme. Il l’est par cet équilibre entre deux allégeances qui inspire le respect tout au long de l’ouvrage. Les qualités de Jules Moch et du général de Gaulle font que leurs rencontres prennent tout leur sens et suscitent un intérêt qui ne se relâche pas.
La personnalité des deux protagonistes et l’évolution de la conjoncture commandent le plan du livre : une première partie couvre, sous le titre de « Convergences », la période du 18 juin 1940 au 26 janvier 1946. La deuxième partie, « Divergences », traite des événements depuis cette dernière date jusqu’à la mort du Général, le 9 novembre 1971.
Tant qu’il s’est agi de sauver l’honneur de la France, de lutter contre l’envahisseur, de libérer le territoire et de remettre le pays en ordre, l’amour profond de la patrie que l’un et l’autre éprouvaient ne pouvait qu’inciter Jules Moch à s’associer à l’action du général de Gaulle. Il le fit avec un courage exemplaire sur le plan militaire et personnel comme sur le plan politique. Son action pendant cette période s’inscrit dans le cadre d’une coopération totale sans qu’il abdique pour autant une liberté de pensée et une franchise qui l’amène à contester certaines mesures prises par le chef de la France libre, l’exécution de Pucheu (ministre de l’Intérieur de 1941 à 1942 sous Vichy, fusillé en 1944) par exemple.
Grâce à des notes prises au jour le jour, Jules Moch nous fait revivre la tâche énorme à laquelle dût faire face le premier gouvernement de de Gaulle après la Libération, à laquelle il contribua à la tête du très important ministère des Travaux publics et des Transports.
Les « divergences » apparaissent dès le départ du général : le socialiste Jules Moch ne peut approuver le Rassemblement pour le peuple français (RPF) et il fait alors sienne l’expression que son maître et ami Léon Blum applique au Général dans un article au titre significatif : « Le Prétendant ».
Les « divergences » se manifestent de façon fort précises chez le ministre de l’Intérieur au cabinet Pflimlin lors de la crise de mai 1958. Fondamentalement hostile à toute abdication du pouvoir légal devant le mouvement insurrectionnel d’Alger, le politique et le patriote qu’est Jules Moch se rend à l’évidence et, comme il constate qu’il n’y a rien à espérer, au contraire, d’une prolongation de la crise, « il se résignera » à voter l’investiture (du général de Gaulle), dans le seul intérêt de la paix intérieure.
Sans se rallier au nouveau régime, Jules Moch reprend, à la demande du Général, le poste qu’il avait occupé précédemment de délégué français au désarmement, ce qui lui donne l’occasion d’avoir à plusieurs reprises des entretiens avec le Président de la Ve République.
Placés sous le signe d’une estime réciproque certaine, les rapports personnels des deux hommes ne cesseront qu’avec la mort du Général et c’est à l’honneur de l’un et de l’autre de constater que les vicissitudes de la politique n’ont pas pu détruire des liens noués au cours d’un même combat par deux hommes se faisant de la France la même haute idée. ♦