Journal politique
Jules Jeanneney était sénateur depuis trente ans et président du Sénat lorsqu’il entreprit ce journal au moment où éclata la guerre en 1939. Il ne manquait donc pas d’expérience parlementaire et il n’ignorait rien des arcanes des institutions politiques et des manœuvres de cabinet dont on sait qu’elles étaient gourmandises politiques aux beaux temps de la IIIe République. À lire les notes qu’il a prises durant « la drôle de guerre » puis « la débâcle », on ne s’étonnera sans doute pas de voir celui qui fut en quelque sorte « un saint laïc » de la IIIe République et qui, tant par ses fonctions que sa formation et son caractère, avait une très haute idée des institutions qu’il avait mission de défendre, s’évertuer, alors même que le régime s’écroulait sous l’avalanche des armées allemandes, à en respecter strictement les mécanismes désuets et les procédures.
Plus loin, fort heureusement, ses rapports devenus très vite orageux avec le gouvernement de Vichy, les conseils pertinents que sa charge l’autorise à donner, les interventions que lui dictent un patriotisme ombrageux et un sens inné de la justice, le font apparaître tel qu’il est et tel qu’il restera jusqu’à sa mort en 1957 : un homme tout de droiture, courageux, préoccupé du bien public, respectueux jusqu’au scrupule des institutions dont il ne pourra du fond de sa retraite sous l’occupation que constater l’inexorable dégradation, puis la fin dans le déshonneur.
Par sa spontanéité, son honnêteté, ce document est une contribution importante à la politique intérieure de la France et à ses institutions durant la Seconde Guerre mondiale. Il nous apporte en particulier, sinon de véritables révélations, du moins des précisions et des documents d’une authenticité indiscutable dans des affaires qui firent l’objet de tant de controverses passionnées comme celle du « Massilia » [NDLR : l’hypothèse d’un départ vers l’Afrique du Nord du gouvernement et des parlementaires] et surtout les journées des 9 et 10 juillet qui virent se perpétrer et se consommer la chute de la République.
C’est le petit-fils du président [du Sénat] Jeanneney, ancien élève de l’École normale supérieure (ENS), diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) et agrégé d’histoire qui présente ce journal. Il avait déjà écrit l’essentiel de son ouvrage comme thèse de doctorat de recherche du 3e cycle. Il l’a mise au point et enrichie d’une abondante somme d’annexes, de notes et d’un index d’une richesse peu commune, qui constitueront pour les chercheurs appliqués à l’histoire de cette époque une mine des plus précieuses.
Soulignons également la présentation parfaite, sobre et impeccable qu’en a faite l’éditeur. ♦