Charles X, roi ultra
À voir l’abondance des lettres, souvenirs et mémoires de ceux des contemporains de Louis XVIII et de Charles X qui, à des titres divers, furent les acteurs de la scène politique, on pourrait penser qu’il n’y a plus rien à ajouter sur cette période qui consomma la chute définitive de la branche aînée des Bourbons. Il n’en est rien et José Cabanis, dont on se souvient avec quelle ironie mordante il traita, dans Le sacre de Napoléon, la famille impériale, nous le prouve aujourd’hui en décrivant les ultras et en suivant par le détail leurs intrigues et leur travail de sape de la monarchie. Il lui suffit bien souvent de les laisser parler, qu’il s’agisse du baron de Damas, de Frénilly, Sosthène de Larochefoucauld, Mathieu de Montmorency, Vitrolles et naturellement Polignac, pour ne citer que quelques figures typiques parmi bien d’autres.
Certes, cette lecture montre à l’évidence que la monarchie, loin d’être le gouvernement d’un seul fut alors victime des intrigues des plus obtus des émigrés. Mais il est non moins évident qu’ils ne purent triompher qu’en trouvant au Pavillon de Marsan, en la personne du Comte d’Artois, un roi selon leur cœur, dont la fonction essentielle fut d’approuver leurs manœuvres. La Charte étant considérée par eux comme entachée de jacobinisme, ils n’auraient de cesse qu’elle ne fut abolie. Le roi Louis XVIII étant suspect de voltairianisme et d’idées libérales – il avait en fait compris qu’il ne pouvait effacer seize ans d’histoire et que pour être le roi de tout un peuple il lui fallait être modéré – qu’importe ! On le contraindrait à se séparer du seul homme intelligent et pondéré, capable de maintenir la royauté en survie : Decazes, et on lui procurerait pour satisfaire ses plaisirs séniles une « confidente » dévouée à la cause : Mme du Cayla. La grande propriété terrienne étant la source et l’apanage de la noblesse, il conviendrait de remettre à sa place la roture bourgeoise issue de l’Empire, mais plus encore de l’industrie et du commerce naissants.
À l’armée qui grogne et qui, avec le peuple qui fut de toutes les batailles, n’oublie pas les gloires de l’Empire, on donnerait pour chef le servile et traître Bourmont. Ainsi la dynastie ira tout droit à sa perte avec la bonne conscience que lui donnera la certitude de son droit divin. À un roi qui ne décide de rien succédera ainsi un roi qui n’aura jamais combattu, pas plus pour défendre son trône en 1830 qu’il ne l’avait fait pour défendre son frère aîné ou pour venir prendre sa place en Vendée en 1793 au milieu de ses partisans. « Médiocres dans l’intrigue, lamentables dans l’action, tels furent les Bourbons pendant ce quart de siècle où le prestige de la vieille monarchie fit tout sacrifier à tant de malheureux qui auraient pu tout simplement vivre ».
Mais le jugement sévère de José Cabanis ne ménage pas non plus les grands écrivains de l’époque et sa virulence s’applique non sans raison aux palinodies de l’ambitieux Chateaubriand, à l’orgueil d’un Lamennais et au manque de courage d’un Stendhal.
Grâce au talent de José Cabanis, grâce en particulier à ses traits acérés et précis mais toujours justes, jamais hargneux, bien souvent assortis au contraire d’une indulgente compréhension, son Charles X, roi ultra se lit comme un roman passionnant. ♦