Science et suprascience
Parmi les sombres spéculations dont nous abreuvent les futurologues depuis une décennie, l’ouvrage de Sofia Price apparaît comme une oasis d’équilibre, et cette qualité suffirait à le rendre attrayant mais il en a d’autres, en particulier une objectivité rigoureuse et une grande clarté dans l’exposé.
C’est en appliquant à la science ses propres méthodes d’analyse qu’il étudie le phénomène scientifique. Le volume actuel de la science n’est que l’aboutissement normal d’une croissance exponentielle que l’on a pu qualifier de telle par l’étude statistique de certains indices numériques (nombre de diplômes, nombre d’universités, nombre de publications primaires et secondaires, nombre d’éléments chimiques connus, etc.) Les statistiques portent sur un échantillonnage très varié. De là, on constate qu’à tout moment de son histoire, la science a « doublé » environ tous les 15 ans. Et déjà Charles Babbage au XIXe siècle déplorait amèrement que l’on ne réalise pas la nouveauté explosive de l’ère scientifique ! Mais les lois de croissance exponentielle s’appliquent à des états de choses tout à fait instables dans le monde réel, le processus devra ralentir, atteindre une limite de saturation et la courbe devenir logistique, c’est-à-dire s’aplatir.
Depuis quelques années un phénomène nouveau se manifeste sous la forme d’une élite scientifique internationale et l’on constate l’émergence de groupes dont les membres, en moyenne une centaine, se communiquent directement leurs travaux, trouvent des voies originales pour se réunir par sous-groupes (Écoles d’été, stages, etc.) puis vont ailleurs avec un autre sous-groupe, si bien qu’au bout de quelques années à un niveau donné tout le monde a travaillé avec tout le monde. Ces gens sont-ils le sel de la terre des sciences ?
Ces universités invisibles sont-elles la parade au travail collectif, imposé actuellement dans la science ? En tout cas cette tendance nouvelle semble transformer la fonction des publications scientifiques, en particulier le rôle de l’article scientifique.
Le fait que dans cette science moderne, qui s’insinue partout et qui donne aux États la toute-puissance, tout se fasse à grande échelle est si évident, que l’expression de « Suprascience » a pu lui être appliquée. Mais ne nous y trompons pas, c’est pour la science le début de l’âge adulte.
L’aspect positif du bilan est que l’homme de science a un statut et une prospérité croissante, qu’il a une influence sur la politique de son pays et ne vit plus du tout comme il vécut longtemps, en marge de la société. Ceci contribue aussi à donner à la science son aspect contemporain. ♦