La maîtrise du futur
« Notre liberté n’est que dans le futur et ne peut porter que sur la préparation de l’avenir » : cette idée simple, presque une évidence, François Hetman lui donne une ampleur et une importance surprenantes. Aux quatre coins du monde, chacun, à sa façon, prépare des lendemains meilleurs ; et pourtant l’on parle de plus en plus de « crise de civilisation », de « morosité », face à l’inéluctable marche de l’univers technico-scientifique. Ce n’est peut-être pas sans raison.
Le mérite de François Hetman est précisément de prendre la mesure exacte de ce qui ressemble fort à une impuissante « fuite en avant » : s’il montre l’intérêt d’une vision prospective de la vie, à tous les niveaux, il n’en cache ni les difficultés, ni les dangers. Ce qu’il nous propose pour maîtriser le futur, c’est d’abord de le regarder en face : il est vain de s’accrocher au passé décomposé, de piétiner pour faire du présent imparfait un présent conditionnel, aujourd’hui n’existe que dans l’accomplissement dynamique de demain. Encore faut-il se donner – condition de la liberté – ce qu’il appelle une « éthique opérationnelle » assez forte, assez lucide pour résister à la nécessaire accélération du changement technique, à la difficulté des choix, à l’accroissement des productions qui doivent, sous peine de mort, obéir aux impératifs d’une finalité socio-économique clairement définie. Une chaîne mouvante de forces contradictoires et complémentaires doit relier sans les figer tous les secteurs de l’action et de la pensée. Est-ce par hasard que ces mots : liens, relais, passerelles, filières, mouvements, reviennent si souvent sous la plume de l’auteur ? Évidemment non. C’est qu’ils définissent non seulement sa démarche intellectuelle, mais aussi et surtout les théories qu’il défend dans ce que l’on peut considérer comme un éloquent plaidoyer pour le temps des robots et des hommes. En effet, contrairement à ce que l’on trouve trop souvent, il n’y a point ici d’analyses purement catégorielles, d’études ponctuelles (encore que de nombreux exemples : transports urbains, écologie, santé, gestion des entreprises, etc. et d’excellents schémas illustrent ou complètent le texte), mais une ample fresque, fortement structurée, dominée par le souci constant d’établir entre les diverses composantes – économiques, sociales, politiques, individuelles et collectives – un incessant va-et-vient dialectique. Le résultat est subtilement clair, rigoureux et passionné à la fois.
Chaque page est une invitation à la réflexion critique. Il n’est pas facile de suivre le long chemin qui mène de « l’envoûtement du changement » à « la société par objectifs » que « la course aux connaissances », la « gestion prospective des compétences » et « le pouvoir d’innovation » jalonnent de toute leur puissance de fascination. Mais il est passionnant de s’y engager. Est-ce la route de la vérité ? « Mieux vaut avoir approximativement raison que d’avoir exactement tort » : François Hetman cite cette devise, que l’on peut reprendre à propos de son livre. ♦