L’aventure du Pueblo
En janvier 1968, la nouvelle éclata comme une bombe : la marine nord-coréenne avait capturé un bâtiment américain, « bateau-espion » embusqué dans leurs eaux territoriales selon les Nord-Coréens, navire océanographique naviguant en haute mer selon les Américains. En fait, si le Pueblo se trouvait bien dans les eaux internationales, il ne s’en livrait pas moins à l’espionnage – si bien que l’on mentait de part et d’autre. L’équipage du Pueblo et son chef, le capitaine de frégate Bucher, firent les frais de cet incident. Ils furent victimes de la légèreté des amiraux américains qui choisirent, pour cette mission, un vieux cargo doté d’un armement dérisoire Ils furent également victimes de la hargne agressive des Nord-Coréens. Quatre-vingt-cinq hommes furent jetés sans défense dans cette aventure, que relate le commandant Bucher.
On pourrait supposer que seules les apparences étaient celles d’un vieux cargo : en guise de servomoteur de barre, le Pueblo avait un vieux moteur d’ascenseur… On peut se demander pourquoi les Américains agirent ainsi. Une seule réponse est possible : ils ne s’imaginaient pas que les Nord-Coréens attaqueraient un bâtiment hors des eaux territoriales, et dès l’instant où prévalait cette conception légaliste, peu importaient les possibilités du bateau. Les Nord-Coréens lancèrent 6 bâtiments de guerre à l’assaut du Pueblo. La capture ne faisait aucun doute. Mais il y eut le calvaire des prisonniers, onze mois de mauvais traitements, de privations, de tortures, de manœuvres d’intimidation allant jusqu’au simulacre d’exécution, de séances d’endoctrinement. Les Nord-Coréens finirent par relâcher l’équipage. Mais, pour le commandant Bucher, l’épreuve n’était pas terminée : une commission d’enquête recommanda sa comparution en cour martiale sous l’accusation d’avoir livré son bâtiment sans combat. Au dernier moment, les poursuites furent annulées, « les hommes du Pueblo ayant suffisamment souffert »…
Le livre est passionnant. Le commandant Bucher n’a pas voulu, à partir de cette tragédie, poser le problème de l’espionnage. Mais c’est précisément du dépouillement de son récit que son témoignage prend une valeur considérable. Certains amiraux américains se sont probablement sentis très gênés en lisant ce livre. Les Nord-Coréens n’en ont pas eu connaissance. Un témoignage ? Oui, sans doute, mais on ne peut s’empêcher de songer aux grandeurs et aux servitudes militaires qu’évoquait Vigny. ♦