Mai 1968
On a dit qu’avec Adrien Dansette, Mai 1968 accédait à l’histoire. C’est certainement vrai dans la mesure où le sujet est traité par un historien chevronné, dont le sérieux, l’objectivité et le talent se sont affirmés tout au long d’une œuvre historique abondante et solidement étayée par la recherche. C’est également vrai, en ce sens que la matière première du livre – les événements – n’est pas livrée brute et en vrac au lecteur : elle a été soigneusement triée et judicieusement ordonnée autour d’un certain nombre de repères qui permettent de relier le présent au passé.
Mais cela nous paraît moins vrai si nous nous attachons – et n’est-ce pas là l’un des aspects essentiels de l’Histoire ? – à l’action des hommes sur les événements. Les analyses de l’auteur, qui sont extrêmement poussées lorsqu’il s’agit de découvrir les origines et les causes d’ordre sociologique d’un courant d’opinion, d’un mouvement populaire ou d’une manifestation étudiante, d’expliquer l’attitude d’un groupe, d’un parti ou d’une coterie, manquent au contraire de précision et de relief quand il s’attaque aux motivations individuelles ou cherche à préciser l’influence d’une personnalité sur le déroulement et l’issue d’une péripétie.
La raison de cette lacune est, d’une part, qu’un nombre très réduit parmi les principaux acteurs de Mai 1968 se sont, à notre connaissance, expliqués sur leur comportement. D’autre part, il est certain qu’une interprétation des pensées et des sentiments en partant des faits, même bien établis, est toujours hasardeuse lorsqu’elle manque à ce point de recul. Mais l’amateur d’histoire reste un peu sur sa faim lorsqu’on lui dit : « La CGT a décidé… » ou « On pensait généralement à la Présidence de la République… » ou « L’Université n’avait pas compris… », etc. Ce qu’il veut connaître c’est le rôle joué par Séguy, ce sont les véritables raisons pour lesquelles le général de Gaulle a accepté de laisser se prolonger l’occupation de la Sorbonne, c’est le secret de l’importance prise par un Sauvageot… Certes ! tout ceci n’est pas absent du livre d’Adrien Dansette et s’il y a des omissions, elles lui sont inspirées par une prudence qu’il convient d’inscrire au crédit de l’historien. On regrette néanmoins que son enquête, par ailleurs si colorée et si vivante, noie quelque peu les personnages dans la foule, au lieu de les pousser sur le devant de la scène.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir de cette première tentative de mettre un peu d’ordre objectif dans des événements qui, par leur soudaineté et leur violence, ont surpris la plupart des Français, qui auraient pu entraîner le pays dans de singulières aventures, et dont toutes les conséquences ne se sont sans doute pas encore manifestées.
Le texte est suivi d’une chronologie et de documents annexes, connus pour la plupart, mais dont la confrontation réserve des surprises. Des indications bibliographiques font brièvement l’inventaire des sources imprimées – surtout journalistiques – utilisées par l’auteur. ♦