Les limites du capitalisme américain
Cet essai brillant sur la sociologie présente et future des États-Unis et du capitalisme a été publié en 1965 ; sa traduction dans notre langue est donc tardive. Pourtant, les idées qui s’y trouvent développées sont du plus grand intérêt. En faisant des hypothèses sur l’avenir, l’auteur admet lui-même qu’elles sont hasardeuses ; il lui suffit qu’elles contiennent un pourcentage élevé de probabilité.
Dans une première partie, Robert L. Heilbroner procède à une analyse de la situation actuelle du capitalisme américain, caractérisé par la très grande puissance d’un nombre fort restreint de grandes entreprises indispensables à la vie du pays. Mais leurs dirigeants, à l’inverse de la génération des fondateurs, s’enfoncent de plus en plus dans l’anonymat du « management », alors qu’apparaissent de nouvelles élites directement intéressées aux affaires publiques, notamment celles des militaires, des technocrates et des administrateurs. Le capitalisme américain est donc en cours d’évolution, bien qu’il soit encore très solidement implanté et doive durer pendant plusieurs générations.
Mais vers quelles nouvelles formes sociales cette évolution conduit-elle ? C’est l’objet de la seconde partie de cet essai. Pour le déterminer, l’auteur étudie d’abord quelles sont, à échéance d’une centaine d’années, les évolutions qui lui semblent impossibles, sauf cataclysme social imprévisible. Il part de la notion d’inertie propre à tout système social, qui pousse celui-ci à adopter des attitudes conservatrices, d’autant plus vigoureusement que des « privilèges » sont davantage mis en cause. Or ces privilèges sont fort importants pour ceux qui détiennent la richesse et une partie du pouvoir. Il étudie ensuite les évolutions possibles ; elles lui paraissent plus faciles à déterminer et plus caractéristiques que les précédentes. Il est possible techniquement de supprimer la pauvreté, d’instaurer une certaine planification de l’emploi et, par ce biais, de l’économie, de corriger « la militarisation actuelle du capitalisme », de tempérer les effets d’un impérialisme capitaliste belliqueux et d’éviter, par suite, que ne se déclenche un conflit planétaire. Mais le capitalisme doit évoluer davantage du fait des forces nouvelles qui, sans éclat et même en paraissant le seconder, le détruisent lentement. Ce sont les forces qui naissent, sous nos yeux, du développement des sciences et de la technologie. Nous sommes conduits vers une « société d’organisation », d’où le travail manuel sera banni, mais où les motivations qui poussent actuellement les hommes au travail naîtront de désirs nouveaux : faire accélérer encore la recherche, assurer une bonne répartition des richesses et un mieux-être généralisé. Cela ne pourra s’accomplir sans une planification dirigée par l’État, suivant des modalités qu’il serait vain de prévoir dès maintenant.
Ce qui se dégage de ce court ouvrage, c’est donc une loi d’évolution sociale, comparable, toutes choses égales d’ailleurs, à l’évolution biologique maintenant admise par tous. Le capitalisme est donc certainement appelé à disparaître pour faire place à une nouvelle structure sociale.
Roger Priouret, le journaliste bien connu, a donné, en postface à cet essai, quelques pages dans lesquelles il adapte au cas de notre pays les idées de l’auteur sur le sien. ♦