Les buts de guerre de l’Allemagne impériale : 1914-1918
Si la traduction française vient de paraître, cette longue thèse historique a été publiée en Allemagne il y a plusieurs années et y a fait l’objet de controverses passionnées. En effet, elle allait à l’encontre de ce que les Allemands avaient appris et professé, car elle établissait la part prépondérante de la responsabilité allemande dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale et montrait que la défaite avait été due, non pas au fameux « coup de poignard dans le dos », mais à une constante erreur d’appréciation des conditions réelles de la lutte par le Gouvernement allemand. Celui-ci, entraîné par son rêve de pangermanisme en Europe, désireux de faire de l’Allemagne la plus grande puissance mondiale, avait sous-estimé les forces de ses adversaires et surestimé les siennes.
Étudiant par le menu toutes les pièces du dossier, montrant non seulement les décisions prises, mais aussi les étapes successives de leur préparation, Fritz Fischer a écrit un ouvrage dont la lecture doit être faite la plume à la main, car il est nécessaire de retrouver le fil directeur de sa thèse tout au long de ces 650 pages denses et compactes, malgré les trois chapitres de synthèse qui les jalonnent.
On ne peut ici que donner un aperçu très bref et très schématique de cette thèse. La guerre a été la continuation par les armes de la politique pangermaniste que suivait l’Allemagne de Guillaume II qui, dans l’affaire austro-serbe, a trouvé une occasion de réaliser ses deux objectifs : créer, sous sa direction, un « Mitteleuropa » dont la puissance, de la mer du Nord à la Méditerranée, et de Briey (Meurthe-et-Moselle) à Kiev, imposerait sa domination au monde ; en faire dépendre un « Mittel-afrika » qui, de Dakar à Zanzibar et du Tchad au Sud-Ouest africain, formerait une vaste zone d’exploitation, en même temps qu’un immense point d’appui pour régner sur l’océan Atlantique et sur l’océan Indien.
Comment réaliser ce rêve qui va durer jusqu’au 8 août 1918, le « jour sombre » où la défaite militaire deviendra certaine ? D’abord, il faut obtenir l’adhésion des Allemands eux-mêmes ; elle le sera facilement, les oppositions venant des socialistes étant facilement écartées. L’hégémonie mondiale n’est donc pas une simple aspiration dynastique ou gouvernementale ; elle est véritablement l’expression d’un désir national. Ensuite en nuançant, suivant les variations qu’apportent au long des années le sort des armes, les rivalités politiques extérieures, le climat des relations internationales, les solutions envisagées ; celles-ci peuvent aller de l’annexion pure et simple à la constitution d’États vassaux, économiquement colonisés et politiquement dépendants. Ce qui forme l’essentiel du livre, ce sont les constantes des objectifs poursuivis et les variations des moyens de les atteindre. La paix de Brest-Litovsk permet de les réaliser vers l’Est. Mais, écrit l’auteur, cette réussite même ouvre les yeux du Président Wilson et l’engage à se ranger résolument aux côtés des Alliés occidentaux. Victoire à la Pyrrhus, qui précipitera l’effondrement de l’Empire allemand et l’évanouissement de ses buts de guerre.
Un tel ouvrage ouvre certainement un débat ; l’auteur interprète les documents suivant la thèse qu’il défend, à laquelle quelques retouches sont probablement nécessaires, même si elle est exacte quant au fond. Il montre en tout cas fort bien le travail des diplomates pendant que les militaires combattent, et, ne serait-ce que sur ce seul point, il est très instructif. ♦