L’avion d’Hiroshima
La mission du B-29 Enola Gay, le 6 août 1945, fut accomplie sans difficulté et n’aurait été que de pure routine si elle n’avait eu pour objet le premier bombardement atomique de l’histoire. Aussi fut-elle longuement préparée, attentivement suivie et donne-t-elle encore matière à d’innombrables commentaires. L’auteur a voulu démontrer que la vérité est très différente de l’ensemble des légendes dont elle a été le prétexte. Tout d’abord, la bombe n’a pas été utilisée parce que l’adversaire était un peuple « de couleur » ; elle l’aurait été tout aussi bien contre un peuple « blanc » si elle avait été prête à temps et si les circonstances en avaient imposé l’emploi. Ensuite, les membres de l’équipage ne sont pas devenus fous et ne se trouvent pas en proie à des remords ; des douze hommes qui le formaient, l’un est mort de mort naturelle, et les onze autres sont d’honnêtes citoyens américains, poursuivant leur vie dans des conditions très normales. Enfin, le lancement de la bombe est compréhensible lorsque celui qui veut le juger replace l’événement dans le contexte de l’époque.
Le récit des douze heures que dura la mission tient relativement peu de place dans l’ensemble de l’ouvrage ; les choses se déroulaient si normalement et si banalement qu’il y a peu à en dire. Joseph L. Marx l’a étoffé en racontant sommairement l’historique de la fabrication de la bombe atomique et en donnant, de chacun des douze membres de l’équipage, une biographie succincte ; d’ailleurs ces hommes étaient jeunes et n’avaient pas encore eu le temps d’avoir d’autres aventures que celles de leurs études et de la guerre. Il insiste également sur les mesures extraordinairement strictes et efficaces de sécurité qui protégèrent le secret de l’arme et de la mission ; bel exemple d’une organisation poussée jusque dans ses extrêmes détails.
La lecture de l’ouvrage risque d’être un peu déroutante du fait de l’emploi systématique des « retours en arrière » ; mais elle se fait pourtant sans effort, dans un temps qui n’est pas supérieur à celui de la mission elle-même. C’est un bon témoignage d’une action unique dont l’originalité tient à ce mélange de banalité et d’extraordinaire ; il montre bien comment des hommes, dans l’exercice de leurs fonctions courantes, peuvent faire l’Histoire. ♦