L’Amérique latine. La doctrine Monroe et le panaméricanisme. Le conditionnement historique du Tiers-Monde latino-américain
Dans notre numéro de février 1967, nous rendions compte du précédent ouvrage de l’auteur sur l’histoire de l’afro-asiatisme jusqu’au Bandoung. Ce nouveau livre est le résultat de la suite des études poursuivies par Pierre Queuille sur le Tiers-Monde. Cette fois, il s’agit d’un Tiers-Monde de formation ancienne et dont l’histoire a fortement conditionné le présent, d’un Tiers-Monde donc différent de celui des colonies européennes récemment parvenues à l’indépendance. Mais aussi d’un Tiers-Monde dont on est en droit de penser que, quelle que soit l’importance des événements actuels de l’Asie et de l’Afrique, il aura dans l’avenir un rôle particulièrement éminent à jouer, en raison de sa démographie galopante et de la masse d’hommes qu’il comptera dans moins d’un demi-siècle.
La situation présente en est largement dominée par plusieurs facteurs historiques : l’origine ibérique, le métissage, la conversion au catholicisme, le fractionnement politique sur des étendues immenses, l’emprise des États-Unis, les tentatives d’entente et d’association périodiquement brisées par les rivalités locales et par l’immixtion des grandes puissances. Autant de faits qui ont puissamment agi sur le psychisme des hommes et sur la structure des sociétés. De la vieille colonisation, est demeuré le clivage entre les aristocraties de race, d’instruction et d’affaires d’une part, et la masse illettrée, passive, parcourue cependant de révoltes soudaines : un psychisme qui, générateur d’action, portait en lui-même son propre frein et conduit à l’avortement de toutes les réformes, et qui, par ailleurs, tout imprégné de croyance religieuse mêlée à d’antiques résurgences de cultes passés et dépassés, manque de prêtres et de directeurs de conscience ; qui enfin, incapable de s’accomplir lui-même, attend d’ailleurs – renouveau chrétien ou communisme adapté – de trouver une formulation concrète dans laquelle il se reconnaîtrait et se réaliserait.
La structure des sociétés se ressent de cette impuissance et de cette attente. Elle est en cours de transformation lente, mais non dirigée, sous l’influence du robuste voisin du Nord, dont le dynamisme pratique et l’idéalisme différent ont des effets contradictoires d’attirance et de répulsion.
L’analyse de l’auteur est poussée très loin, dans le souci de faire comprendre à quel point sont imbriquées, en Amérique latine, les tendances et les idéologies. La lecture de ce texte nuancé demande au lecteur un effort certain, dont il est récompensé par la richesse de la découverte qu’il fait ainsi, dans son fauteuil, d’un monde généralement représenté, pour la grande opinion publique, par des clichés sommaires et des images d’un temps révolu. Monde à la fois semblable au reste du Tiers-Monde par quelques-uns de ses traits qui demandent des remèdes urgents, mais profondément différent pourtant par le lointain passé qu’il porte d’une civilisation européenne d’autrefois qui n’a pas encore su ou voulu mourir.
Le livre est austère, mais original et plein d’aperçus intéressants et nouveaux. Il mérite largement d’être lu et médité. ♦