La guerre civile froide
On pourrait dire que le titre, malgré sa formule frappante et calquée sur celle du précédent ouvrage de l’auteur (dont nous avons rendu compte antérieurement), ne correspond pas à la matière traitée et « force » un peu la note : tout conflit politique est, dans une plus ou moins grande mesure, une « guerre civile froide ». Mais ce ne serait qu’une querelle de mots. L’essentiel est que ce livre est d’une actualité intense, se lit facilement et rapidement, car il a de l’élan, du souffle et une valeur démonstrative qui sont particulièrement notables. Il souffre cependant, nous semble-t-il, d’une rédaction hâtive, d’un style parfois relâché ; en somme, des défauts de ses qualités. André Fontaine est un journaliste de talent ; cela est nettement perceptible dans cet ouvrage.
Cherchant à donner des événements de mai et de juin 1968 une explication qui tienne compte des arguments avancés par les parties en présence, il n’atteint pas la sérénité. L’auteur le dit lui-même ; il espère cependant atteindre une certaine objectivité. Nul doute que cela soit vrai dans l’intention ; mais il est impossible d’être pleinement objectif lorsqu’il s’agit d’une question aussi grave et aussi présente encore dans notre vie quotidienne.
La partie analytique est certainement la plus intéressante. Le tableau de notre pays au moment où vont éclater « les événements » nous paraît dans son ensemble exact ; les formules y abondent, souvent excellentes, comme dans une large peinture les détails bien choisis retiennent l’attention. Le désaccord des générations, le trouble des instances gouvernementales, cette sécurité apparente si soudain lézardée et faisant place à une inquiétude qui paraît aberrante, tout cela est fort bien noté, avec vivacité, avec force, avec aisance. Il faut ici nous borner à cette impression d’ensemble, car la critique détaillée nous conduirait à de trop longs développements.
La partie constructive est, comme il fallait s’y attendre, moins prenante et plus discutable. Certes, on sera facilement d’accord avec l’auteur pour estimer que la jeunesse française et la France elle-même ont besoin d’un but, et selon son expression, d’une « aventure » qu’il est indispensable de leur offrir, comme un complément obligatoire d’un confort et d’une sécurité matérielle qui, aussi satisfaisants qu’ils soient, n’ont au demeurant rien d’exaltant ; il y a longtemps que l’on a dit que « l’homme ne vit pas seulement de pain ». Mais quelle aventure, quel but ? Évidemment, chaque lecteur a sur ce point son opinion ; celle de l’auteur n’a pas une force de conviction telle qu’elle emporte sa totale adhésion.
Ce livre est cependant important par la mise à nu qu’il effectue de notre vie et de notre comportement quotidiens, dans un monde qui se transforme. Il appelle la réflexion, voire la contradiction. Le lecteur se sent prêt à dialoguer avec l’auteur qui lui présente si intelligemment leurs communs problèmes. C’est pourquoi il nous semble particulièrement digne d’attention. ♦