Autour d’une statue colossale, un homme méticuleux promène une loupe et note les petits défauts de la pierre, qu’ils viennent du matériau lui-même ou des atteintes du temps. Il les note inlassablement, impitoyablement. C’est ainsi, nous semble-t-il, que peut être figurée l’œuvre de Lord Moran. Le lecteur en retire une impression de gêne. Il est évident que les grands hommes sont hommes avant d’être grands. La répétition des petitesses inéluctables est à la longue déplaisante, lorsqu’elle s’étend sur des centaines et des centaines de pages.

Ce livre est cependant un témoignage des coulisses de la scène mondiale sur laquelle se produisit Churchill. Il accumule les détails, restitue les ambiances, dépeint les ténors de la politique et de la guerre dans leurs moments de détente ou de lassitude, d’espoir ou de doute. Difficile à lire d’une seule traite, il offrira peut-être aux historiens de l’avenir une source d’anecdotes, de précisions, de compléments à la grande histoire. Peut-être aussi des spécialistes y trouveront-ils un intérêt : celui de la description des attaques de la sénilité sur un homme intellectuellement et physiquement exceptionnel.

Le lecteur d’aujourd’hui, s’il surmonte cette impression gênante d’entrer dans l’intimité de Churchill, trouvera dans ce livre un reportage, plutôt que des mémoires. L’auteur ne semble défendre aucune thèse, ne relie pas nécessairement entre elles les différentes scènes qu’il décrit, suppose connue l’histoire de la guerre et de l’après-guerre et y apporte des compléments. Exceptionnellement témoin des grandes décisions, des grandes réunions internationales, mais particulièrement bien placé pour entendre et enregistrer les réflexions qu’elles suscitaient chez leurs principaux acteurs, le médecin de Churchill agit comme un journaliste privilégié au sortir d’une grande conférence. Les notes prises au jour le jour sont reproduites sans correction, affirme Lord Moran, ce qui renforce cette impression d’actualité journalistique qui s’étend sur une période de vingt-cinq ans.