Daru, ou l’Administration militaire (Révolution-Empire)
Il est de coutume de tenir un compte beaucoup plus grand de la stratégie et de la tactique que de la logistique, d’après la formule célèbre : « L’Intendance suit ». Pour qu’elle « suive » effectivement, il faut le plus souvent qu’elle précède. Il convient surtout qu’elle soit dirigée par des hommes de grande qualité, qui sont des cerveaux clairs et des bourreaux de travail. Rien ne peut mieux illustrer cette vérité que l’ouvrage consacré à Pierre Daru, dont le nom est connu beaucoup plus que les actes.
Pierre Daru, d’une bonne famille déjà entraînée aux fonctions administratives, est entré dans la carrière à quinze ans, à la fin de l’Ancien Régime, en 1782, au moment où s’accomplissaient dans l’armée les réformes capitales dont le génie de Napoléon allait profiter un peu plus tard. Son ascension sera rapide, après une période d’initiation qu’il passe, pendant la Révolution, en Bretagne, au ministère, puis aux Armées, en Allemagne, en Suisse et en Italie. Il devient en effet successivement Secrétaire général au ministère, membre du Tribunat, Intendant général de la Maison de l’Empereur, Intendant général de la Grande Armée en pays conquis, Académicien, ministre, Pair de France, et au cours de ces années de guerres incessantes, reçoit à maintes reprises la charge de traiter avec les pays vaincus et de faire exécuter les stipulations des traités.
Son activité est multiforme. On imagine mal, de nos jours, qu’un homme ait eu, simultanément ou successivement, tant de responsabilités diverses. Il est un technicien de l’administration, au sens le plus large du mot, mais il en est aussi en même temps l’exécutant de haut échelon et le philosophe. Il a le génie de servir l’Empereur dans les circonstances les plus difficiles et les plus acrobatiques.
Le livre du colonel de Nanteuil nous montre cet homme en action, et nous décrit les arrières de l’armée impériale, moins brillants, certes, que les récits de ses victoires pourraient le laisser croire. Il faut constamment remettre de l’ordre dans une énorme machine qui tend à se dérégler toute seule, inventer des solutions immédiates, et faire en sorte que l’Empereur puisse monter ses manœuvres rapides sans se soucier outre mesure des conditions indispensables à leur réalisation : Daru, ses collègues et ses collaborateurs, assureront le fonctionnement interne de la machine de guerre.
Aussi ce livre est-il très vivant, très intéressant, très instructif. Sous un volume relativement faible, et au-delà de la personnalité de Daru et du juste hommage qui lui est rendu, le lecteur y trouvera un agréable traité de logistique appliquée à la guerre de mouvement.