Les 1 000 jours de Kennedy
Aussi intéressante qu’elle soit, la lecture de cet énorme ouvrage est une entreprise de longue haleine, en raison même de son volume, certes, mais aussi de la multiplicité des sujets traités ; il y avait matière à plusieurs livres. On sait que l’auteur, historien de l’Université de Harvard, fut un proche collaborateur du président Kennedy pendant la campagne électorale et à la Maison-Blanche. Il était surtout chargé des affaires extérieures, vers lesquelles sa formation et ses goûts le portaient.
Il est évident qu’il a voulu faire de son livre un ouvrage de documentation pour les historiens futurs. C’était une audacieuse ambition ; seul l’avenir pourra dire si elle a été remplie. Il ressort aussi de la lecture de ce livre qu’il pourrait avoir des visées moins lointaines, des préoccupations plus immédiates ; la justification d’une politique a sa valeur à l’approche des futures élections présidentielles. Mais quelle que soit l’intention, ou quelles que soient les intentions de M. Schlesinger, il faut juger ce livre en ce qu’il apporte au lecteur d’aujourd’hui, curieux de mieux connaître le personnage du président Kennedy et la façon dont il a conçu et mené la politique américaine pendant deux ans.
Nul doute que le président Kennedy ait été, malgré son court séjour à la tête du plus puissant État du Monde, un homme exceptionnel. L’auteur en apporte suffisamment de preuves pour que le lecteur sceptique, s’il en existe, soit rapidement convaincu. Sa jeunesse, son dynamisme, sa bonne volonté, sa vaste intelligence, sa méthode de pensée et de travail, sont autant de qualités évidentes. On pourrait même dire que la façon dont il a tiré des leçons de ses premiers échecs – comme celui de la Baie des Cochons – ou de ses premiers affrontements avec les autres grands de ce monde – Khrouchtchev en particulier – prouve davantage encore sa valeur et son sens de l’humain. L’auteur a veillé à présenter tous les aspects de son personnage, à le faire vivre dans des anecdotes, en le définissant souvent par ses propres réflexions, faites en privé et hors de toute contrainte protocolaire ou diplomatique. Malgré toute sa jovialité, toute sa simplicité naturelle, Kennedy apparaît cependant comme un homme à part ; il est « Le Président » pour tout le monde, pour ses amis, pour ses parents les plus proches ; la fonction l’a marqué de son empreinte inévitable ; on est tenté de dire qu’elle l’a classé d’emblée dans le monde des demi-dieux. Cette impression que retire un lecteur, l’auteur n’a sans doute pas voulu la lui donner, encore moins la lui imposer ; il n’en reste pas moins qu’elle est fort nette. Mais il est cependant fort probable que l’histoire ne la ratifiera pas, tout en rendant justice au Président si tragiquement disparu.
Sous l’impulsion de Kennedy, la politique américaine semble être devenue l’affaire d’un groupe d’intellectuels, sincères dans leur désir de réformes et de résultats rapides. Washington bouillonne d’idées et d’espoir dans un paradis prochain. Les conseillers du Président, spécialisés dans leurs domaines cloisonnés, cherchent à l’entraîner. Kennedy, au contact de l’ensemble des faits, est parfois contraint de modérer leur ardeur : le monde ne se laisse pas modeler aussi facilement que les idées. Si un tel sujet de réflexion n’était pas vain, on pourrait essayer de se demander ce qu’aurait fait Kennedy s’il était resté plus longtemps au pouvoir, et comment cette vaste intelligence et cette volonté obstinée auraient réagi devant une longue suite de circonstances difficiles.
Kennedy a apporté l’espoir. La peinture minutieuse que fait M. Schlesinger de son court passage au pouvoir est un peu celle d’un paradis entrevu, que l’auteur voudrait retrouver ; vision d’un avenir attendu, ou rêve d’un passé disparu ? Le lecteur se posera la question, s’il veut aller au-delà de l’anecdote.
Voilà, nous semble-t-il, de quoi encourager tous ceux que la masse de ces mille pages pourrait intimider, ou inquiéter.