Toussaint Louverture ou la vocation de la liberté
Le personnage de Toussaint Louverture ne cesse pas d’inspirer les auteurs. Roger Dorsonville en est un grand admirateur, et l’appelle « Toussaint le Précurseur », à la fin de son livre consacré aux trois révolutions de Saint-Domingue : celle des colons blancs, celle des mulâtres, puis celle des esclaves noirs à laquelle Toussaint Louverture donna sa physionomie et fournit sa légende. C’est une histoire complexe, à la fois mélangée à la Révolution française et parallèle à elle. L’exposer clairement n’est pas facile. L’auteur n’a pas évité tous les écueils – ils sont innombrables – qui guettent l’historien assez hardi pour les affronter. Son parti pris en faveur des Noirs et de leur cause l’empêchait d’ailleurs de donner une œuvre vraiment objective ; et les arguments qu’il avance en faveur de sa thèse s’en trouvent affaiblis. Le lecteur reste donc un peu « sur sa faim » s’il voulait comprendre vraiment à la suite de quels faits et par suite de quelles circonstances Haïti est devenue indépendante, alors que les autres possessions françaises des Antilles – du moins celles qui ne nous étaient pas spoliées par l’étranger – restaient dans l’orbite française. Il y aurait eu pourtant, sur ce point une belle démonstration à faire, dans le sens qui aurait apparemment plu à l’auteur.
Cet ouvrage laisse donc insatisfait. Cependant il ne manque pas de qualités, dont une sincérité d’expression indéniable. Il montre bien le drame de ce que l’on appelait autrefois « le drame des colonies » : le conflit des intérêts des différentes classes qui les poussait parfois à épouser des causes contraires à celles qu’elles auraient dû ou pu normalement défendre, la difficulté d’affranchir des humbles, le destin des bonnes intentions – et des moins bonnes.
C’est donc une mine de réflexions, une source de méditations, que peut éclairer l’histoire de Haïti dans l’indépendance et celle de la décolonisation récente. L’intérêt de l’ouvrage se trouve là, beaucoup plus que dans le récit même des faits ou la glorification d’un homme qui, comme les autres, offrit un mélange de grandes qualités et de graves défauts. ♦