Journal de guerre et d’occupation (1939-1948)
Les lecteurs du livre Orages d’acier, qui fit une telle impression après la Première Guerre mondiale, trouveront ici un aspect bien différent du même auteur. Qu’ils ne s’attendent plus à des récits de guerre ! C’est une suite de réflexions sur la vie, faites par un intellectuel qui, de lui-même et en dehors de tout système, s’est mis, non au-dessus, mais en marge des événements dont pourtant il vit le déroulement en acteur. Il est relativement rare qu’Ernst Jünger décrive des scènes vécues ou connues de lui, sauf pour illustrer une pensée ; et cependant, tout ce qu’il a écrit dans ses carnets au cours de neuf années baigne directement dans l’ambiance de leur violence, de leur stupidité, de leur caractère exceptionnel, car le mal qui se déchaîne sur le monde est trop fort, trop grand, pour que la pensée, fût-elle la plus abstraite, puisse s’en détacher et l’ignorer. C’est à notre sens la leçon principale de ce gros ouvrage, dans lequel l’auteur fait revivre, presque au jour le jour, toute son activité intellectuelle. Les anecdotes dont le livre abonde n’ont qu’un intérêt épisodique : ce qui compte, c’est l’attitude du penseur, non pas « devant » les événements, mais « dans » ceux-ci.
Cela ne va pas sans une certaine froideur vis-à-vis des faits et des actes qui bouleversaient le monde : impression certainement fausse, mais impression que le lecteur ressent pourtant de façon frappante. La mort du fils d’Ernst Jünger, tué au combat, apporte à ces réflexions cet élément d’émotion et de souffrance humaines qui semble manquer ailleurs.
Paradoxalement, ce témoignage vaut beaucoup moins pour la période de guerre et d’occupation sur laquelle il s’étend, que sur l’attitude de l’homme pensant en présence des faits qu’il ne peut contrôler et doit subir. Ainsi ce livre atteint-il un caractère universel et permanent que son titre ne révèle pas. Il inspire aussi des réflexions sur l’évolution d’un homme qui fut l’un des plus purs héros allemands de la Première Guerre et devint, au cours de la Seconde, un commentateur et un philosophe. ♦