Témoignage pour l’histoire
S’il est inutile de présenter à nos lecteurs l’ancien Chef d’état-major de l’Armée de l’air (1960-1963), il ne l’est peut-être pas de préciser qu’une grande partie de sa carrière s’est déroulée au 2e Bureau, à l’Ambassade de France à Berlin et dans des activités de renseignement, au cours de missions diverses et difficiles.
C’est sur ces activités que porte le témoignage du général Stehlin. Il n’apporte à vrai dire aucune révélation, mais il contient de nombreuses précisions sur les renseignements fournis aux plus hautes instances, alors qu’il était encore temps d’en tenir compte. Le peu d’intérêt qu’ils ont provoqué au moment où ils étaient recueillis et transmis, ou tout au moins le peu de résultats qu’ils ont eu sur la marche des événements, est assez connu pour qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir la cruauté d’insister.
L’auteur, élevé dans une famille de tradition française vivant en Alsace avant et pendant la guerre de 1914, avait une excellente connaissance de l’allemand, qu’il devait perfectionner au Centre des études germaniques à Strasbourg. C’est pourquoi, alors qu’il s’attendait à voir s’ouvrir devant lui une carrière de pilote et de commandant d’unité, il se vit rapidement orienté vers les états-majors et les postes d’attaché militaire et maintenu dans des missions de recherche du renseignement. Arrivé à Berlin peu après l’accession de Hitler au pouvoir il devait rester dans cette capitale jusqu’à septembre 1939, obtenant la confiance des deux ambassadeurs successifs, André François-Poncet et Robert Coulondre. Les circonstances amenèrent le jeune capitaine à faire la connaissance de la sœur de Gœring. Il eut ainsi accès près du Dauphin du régime nazi, en même temps qu’il était appelé, par ses fonctions, à approcher de nombreux hauts personnages du monde politique et militaire. Les renseignements qu’il obtenait étaient souvent de toute première main. Indiscutables dans leur donnée brute, ils devaient cependant être interprétés quant au sens à leur donner. Pour l’auteur, dans son poste d’attaché de l’Air adjoint, pour son supérieur direct, comme pour l’Ambassadeur, leur signification était claire. L’Allemagne nazie allait à la guerre, et possédait l’instrument de sa politique ; elle saurait l’imposer le moment venu, à l’heure choisie. Il appartenait aux responsables, dans les pays que visait son extension, de prendre les mesures pour faire face à une menace certaine, qui n’aurait dû conduire à aucune surprise. Malgré la précision des renseignements transmis, tant sur le plan politique que sur le plan militaire, la guerre éclata et se déroula comme on sait.
Cette partie du livre de Paul Stehlin occupe environ la moitié de l’ouvrage. L’autre moitié est consacrée à la période qui commence à la déclaration de guerre. C’est d’abord une mission exécutée au Danemark au début de la guerre, pour observer les changements dans l’ordre de bataille allemand ; l’auteur se rend même à Hambourg pour y rencontrer un informateur. Puis c’est en Finlande que Paul Stehlin se trouve envoyé, pour y préparer l’intervention des forces aériennes que le haut commandement français envisage d’inclure dans le corps expéditionnaire qui doit venir aider l’armée finlandaise. L’armistice conclu entre l’URSS et la Finlande met fin à cette mission, au moment où débute l’opération de Norvège, à laquelle l’auteur reçoit l’ordre de se joindre. Revenu en France peu après le déclenchement de l’offensive allemande du 10 mai 1940, il prend le commandement d’un groupe de chasse, qu’il conduit en Algérie après l’armistice. Dès novembre 1940, il est rappelé à Vichy et se trouve mêlé aux conversations franco-allemandes. Il a l’occasion d’accompagner l’amiral Darlan près de Hitler et d’assister à leur entrevue. Déçu par l’orientation que prend Vichy, il se fait affecter à Dakar, d’où il reprendra la lutte en 1943. En 1947, il est nommé attaché de l’air à Londres ; il participe aux études menées pour la création de l’Union occidentale. Plus tard, il sera au Pentagone, comme adjoint au chef de la délégation française au Standing Group.
La lecture de ce livre si dense est aisée. Le récit est vivement mené, souvent haut en couleurs, toujours intéressant. Il y a peu de chances que le lecteur se contente d’en tourner distraitement les pages, car il sera pris par toutes ces aventures et plus encore par toutes les réflexions que lui suggérera directement ou indirectement le texte. Car, c’est en fait toute l’histoire de l’avant-guerre et de la guerre, puisque l’auteur a eu la fortune de se trouver, malgré les grades modestes qu’il détenait alors, aux « points chauds » de cette période. Ce témoignage précis et clair confirmera, une fois de plus, ce qui commence à se dégager nettement des documents et des mémoires, et annonce déjà, au milieu des contradictions et des orientations volontaires, ce qui sera plus tard la vérité historique. Ce qui est précisément l’objet d’un témoignage pour l’histoire. ♦