La Révolution de Castro. Mythes et réalités
L’auteur s’est donné pour tâche, comme l’indique le sous-titre de son livre, de dénoncer les mythes sur lesquels repose la révolution cubaine, et, au-delà des apparences que la propagande pro- ou anticastriste veut faire prendre pour la vérité, de définir celle-ci. Il en résulte un ouvrage assez lourd, d’une lecture peu aisée, mais dont l’intérêt est certain.
Théodore Draper souligne très fortement que cette révolution a été faite par un groupe d’intellectuels appartenant à la classe moyenne, sans attache aucune avec le paysannat ou le prolétariat ouvrier : « De toutes les dictatures du prolétariat dont on nous a gratifiés au cours de ce siècle, celle de Castro est sûrement la moins convaincante », écrit-il. Il développe son opinion, il démasque ce premier mythe, en démontrant que ce groupe d’intellectuels ne s’est jamais adjoint d’authentiques représentants des classes laborieuses, ne s’est jamais non plus soucié d’obtenir l’approbation populaire, deuxième mythe à détruire. Certes, il est évident que l’action menée par Castro contre le régime de Batista a correspondu à un désir profond du peuple cubain : mais Castro, sa première victoire obtenue, a raisonné en disant : « Si je faisais procéder à des élections, elles me donneraient certainement une écrasante majorité, donc, il est inutile de recourir à cette consultation ». Ainsi, la démocratie est-elle restée et demeure dictature.
À l’origine, la révolution de Castro n’était pas communiste. Castro disait lui-même que le capitalisme faisait mourir des hommes de faim, et que le communisme réduisait l’individu à un esclavage inadmissible. Il voulait que sa révolution soit capable d’éviter à la fois les maux du capitalisme et du communisme, et désirait que la génération présente ne soit pas sacrifiée à l’élaboration d’un paradis terrestre pour les générations à venir. Ce qui explique le soutien populaire dont il jouit lorsqu’il développa le bien-être. C’était là un troisième mythe, celui des ambitions trop hautes. Or, le groupe d’intellectuels révolutionnaires qui prenait le pouvoir n’avait ni parti, ni idéologie ; seulement une adhésion populaire inorganisée. Seul, à Cuba, le Parti communiste possédait organisation et doctrine. Castristes et communistes ont compris, après quelques hésitations, qu’ils se complétaient, et ils ont fait les uns vers les autres « un bout de chemin » qui leur a permis de se rejoindre. Castro a su manœuvrer pour se débarrasser de ses anciens compagnons, qui ne comprenaient pas cette alliance et cette intégration avec les communistes, et contraindre les communistes de l’accepter pour chef.
Ce sont donc des causes intérieures qui ont conduit à cette fusion, et non, comme on le croit trop souvent, les fautes des États-Unis qui ont jeté Castro dans les bras de Moscou. Encore un autre mythe qui a la vie dure et qu’il faut extirper.
La personnalité de Castro domine cette révolution : « Fidel Castro, à coup sûr, doit être rangé parmi ceux qui, en notre siècle, ont le mieux réussi à intoxiquer les masses, mais nul ne saurait le prendre pour un penseur politique original ». Cette absence de doctrine profonde explique les hésitations de cette jeune révolution, ainsi que la brusquerie de ses choix.
Ceux-ci ont une importance particulière dans le domaine des relations extérieures. D’abord, les ambitions de Castro sont immenses et portent sur toute l’Amérique. Comment, dit en substance Théodore Draper, un homme qui, ayant débuté son action en décembre 1956 avec onze compagnons, portés à cent quatre-vingt en avril 1958, et réussi à s’emparer du pouvoir en quelques mois, ne concevrait-il pas qu’à partir de la petite île de Cuba, il pourra, en quelques années, révolutionner les deux Amérique ? Comment ne serait-il pas grisé par son succès contre la tentative de débarquement d’avril 1961, qu’aidait pourtant le gouvernement de Washington ? Théodore Draper donne, au passage, des indications forts intéressantes sur l’organisation de cette affaire par les États-Unis.
Mais ce triomphe a porté de mauvais fruits. C’est lui qui a conduit Castro à accélérer la transformation de Cuba d’après le modèle soviétique, qui l’a poussé à créer un parti unique, et à recevoir des fusées soviétiques ; celles-ci, pour les Russes comme pour les Américains, n’avaient peut-être pas une signification déterminante, mais pour Castro, elles représentaient un armement considérable et plus encore un succès frappant sur le plan international. Les deux Grands, dans la crise d’octobre 1962, se sont sans doute trouvés pris dans un engrenage qu’ils n’avaient ni préparé, ni voulu, ni même soupçonné, et la guerre a failli naître d’un incident dont, à l’origine, la mégalomanie de Castro était responsable.
Maintenant, pense l’auteur, Castro a décidé « au lieu de stabiliser sa révolution, de miser sur elle en l’utilisant comme la première étape d’une révolution sud-américaine établie sur le principe de l’insurrection permanente ». Le livre s’achève sur ces lignes.
Il est certain qu’il va très au-delà de son sujet, et c’est pourquoi nous en avons fait ici une longue analyse. ♦