Le suicide de la flotte française à Toulon
Le drame du sabordage de la flotte française à Toulon, le 27 novembre 1942, est un de ceux dont la conscience française a été le plus fortement secouée, et sur lequel les opinions les plus diverses continueront longtemps à s’opposer. En fait, les divergences portent, non sur le sabordage lui-même dans les conditions où il a été exécuté, mais sur l’option qui se présentait à partir du 11 novembre, date de l’occupation de la zone sud par les forces allemandes : la flotte devait-elle appareiller, ou attendre à Toulon que la situation évolue, évolution dont l’issue impliquait de toute évidence un sabordage ?
Pour l’auteur, il est clair que l’option à choisir était la première. Ceci dit, il fait en historien minutieux et objectif, le récit de la journée du 27 novembre, à Toulon et à Vichy, reconstituant l’atmosphère chargée de ces heures particulièrement lourdes, en s’appuyant sur les témoignages de nombreux acteurs et spectateurs du drame. Malgré l’enchevêtrement d’événements simultanés et précipités le récit est très clair et le lecteur peut aisément se rendre compte à la fois du mécanisme et de la technique des ordres concernant le sabordage et de leur exécution.
Peut-être cependant pourrait-on reprocher à l’auteur, qui de toute évidence n’était pas lui-même témoin oculaire, de n’avoir pas suffisamment insisté sur l’attitude des marins privés des bateaux qu’ils venaient de détruire, sur ce mélange d’exaltation et de morne tristesse que présentaient les colonnes des équipages se dirigeant vers les lieux de regroupement, sur la stupeur et la satisfaction de la foule et de la population toulonnaises, en bref, sur ce paradoxal mélange de sentiments contraires qui faisaient du sabordage de la flotte une victoire dans la défaite, sur ce paysage étrange aussi que les lourdes fumées des incendies et les nappes de carburant se répandant sur le port faisaient à ce cadre de soleil et de clarté qu’est normalement la rade de Toulon.
Mais on ne peut qu’approuver sans réserve les dernières lignes de l’ouvrage, qui traite du problème de l’obéissance militaire dans une situation exceptionnelle. Il est bien exact, comme le dit l’auteur, que celui qui se trouve aux prises avec un tel problème ne peut que le résoudre seul « sans autre interlocuteur que sa propre conscience ». C’est là qu’est le drame humain de Toulon, dans cette confrontation de chacun avec des responsabilités que nul ne peut prendre à sa place, et qu’il doit assumer très rapidement devant Dieu, devant soi-même et devant les hommes. ♦