Der große Rausch. Rußlandfeldzug 1941-1945 [La grande ivresse, Campagne de Russie 1941-1945]
Le journaliste autrichien, qui a écrit ce livre, appartenait au Parti nazi. Il a été mobilisé dans une unité SS ayant fait la campagne de Grèce, et a pris part ensuite avec la division Adolf Hitler à la guerre contre la Russie, en plusieurs points du front, avec deux ou trois séjours intermédiaires à Vienne.
En dehors des récits normaux de la part d’un combattant du front, de patrouilles, d’embuscades, de cruautés réciproques, il s’agit des impressions ressenties par quelqu’un qui a su voir plus loin et plus profond que les incidents journaliers d’une troupe engagée ou les thèmes rebattus d’une propagande aussi faussée d’un côté que de l’autre.
Ce Waffen SS, probablement parce qu’il est Autrichien, et qu’à l’instar de beaucoup de combattants du front Est, il a senti « l’appel de la steppe », a compris que dans cette lutte gigantesque, conçue par les Allemands, comme une guerre « colonialiste », de pure conquête de territoires, en particulier des riches terres à blé de l’Ukraine, et ce fut là l’erreur de leurs dirigeants, il y avait autre chose qu’un règlement de comptes ordinaire, mais qu’il s’agissait d’un véritable choc physique entre deux éléments totalement différents. Si l’Ukraine, du fait de sa position géographique, sembla répondre au début à l’appel de l’Ouest, provoqué par les premières victoires allemandes, si celles-ci semblèrent en 1941 remettre en cause les fondements mêmes de la révolution bolchevique, si tout de même elles eurent pour résultat de ramener un contact, si fugitif eût-il été, entre les deux conceptions de l’existence, les maladresses commises dans l’exploitation des territoires conquis, que l’on maintint sous régime totalitaire, les stupides directives politiques inspirées par l’idée de supériorité de race, les fautes militaires qui firent abandonner les énormes perspectives offertes par une victoire au Caucase contre le concept stratégique du maintien et finalement de l’abandon d’une armée de 19 divisions à Stalingrad eurent pour résultat de transformer la guerre de défense du bolchevisme en une guerre nationale russe. Elles amenèrent surtout cette constatation : c’est que, si Staline s’empressa, après Stalingrad, de remettre en valeur toutes les anciennes grandeurs de la vieille Russie, ce contact profond, pris à nouveau par l’Ouest avec l’Est, balaya sans rémission chez les hommes de l’Ouest tout ce qu’ils pouvaient savoir de la Russie par l’histoire, sur l’ancien régime et sur la révolution par les récits des émigrants et leur fil découvrir une donnée nouvelle « l’homme soviétique », mélange de la tendance slave au sacrifice et du renoncement matérialiste et marxiste de la personne, avec lequel l’Ouest devra désormais largement compter.
Il y a beaucoup d’idées discutables dans ces réflexions, en particulier la fermeté de la croyance de l’ancien Waffen SS en la perspicacité d’Hitler lorsqu’il voulait, suivant l’avis de Guderian, pousser directement ses blindés sur Moscou, sans s’occuper de ses arrières comme le lui recommandaient ses généraux qu’il finit tout de même par écouter, mais à contretemps et trop tard. Finalement ce sont eux qui avaient raison et ils avaient pressenti que la conception d’un plan aussi gigantesque par la « mise à quai » rapide d’un empire aussi immense dépassait largement les ressources en moyens et en effectifs du IIIe Reich. Il y a aussi quelques contradictions à imaginer que la prise de Moscou et la conquête du Caucase, voire de l’Iran et du Turkestan, auraient réglé définitivement la question.
Il serait resté cette fameuse inconnue, la combinaison de la réaction de la Sainte Russie, que le Grand État-Major allemand ne semble pas avoir tellement ignoré, car il se souvenait de Napoléon et de Brest-Litovsk, et surtout de la nouvelle réalité du monde soviétique, parfaitement entrevue par l’auteur du livre et qui a étayé et galvanisé l’ensemble ; il y a eu aussi sans doute les cruautés nazies du début sur lesquelles l’auteur ne s’étend pas outre mesure.
La nostalgie de l’Est, malgré toutes les souffrances endurées, que ressentent tous ces anciens Nazis venus échouer de tous les points de l’horizon oriental dans les camps d’internement américains, la mise en commun de leurs souvenirs, de toutes leurs rancœurs et leurs déceptions, conduisent l’auteur à la conclusion qu’aucune entente n’est possible entre hommes de l’Ouest et de l’Est. Ce sont des conceptions absolument différentes qui s’affrontent et seuls des Européens peuvent comprendre qu’ils ont un ennemi commun : le bolchevisme.
Il est de fait qu’en lisant les passages de ce livre, au demeurant très objectif, relatifs au déferlement des armées soviétiques sur Budapest et sur Vienne, on se croit reporté au temps des grandes invasions mongoles et turques du XIIIe et du XVIIe siècles. Les Viennois de 1943-1944 ne semblent pas plus s’en être souciés que les Parisiens de 1950-1954 ne se soucient de ce qui se passe à Vienne et à Berlin.
C’est à cause de cela que le livre est intéressant et apporte, en tout état de cause, une contribution de valeur à la « Connaissance de l’Est » si négligée ces derniers temps. ♦