Les origines du malheur européen
Le malheur européen vient de la domination prussienne. L’erreur de l’Angleterre et de la France, c’est d’avoir aidé à cette domination et par là, d’avoir amené la guerre de trente ans (1914-1945). C’est ce que Jacques Bardoux, membre de l’Institut, expose dans une étude fortement documentée et en même temps bien éclairée psychologiquement. Ce mélange de documents et de jugements, de faits et d’observations, présenté d’un style alerte, donne à ce grand ouvrage une allure rapide et entraînante. On le lit avec intérêt non seulement pour le sujet, mais pour la forme qui lui est prêtée.
Les événements sont là, mais aussi et surtout les hommes qui les ont amenés et qui vivent et agissent sous nos yeux. Des ministres anglais dont le principal souci est l’intérêt économique de leur pays. Un chef d’État français « rusé et naïf, sincère parfois, impénétrable, quand il le veut, conspirateur toujours, par goût autant que par habitude, fataliste qui croit à son étoile ». Un chancelier prussien, réaliste et bâtisseur qui, à dix-sept ans, pariait que l’unité allemande serait réalisée sous la domination prussienne. Des habitudes diplomatiques, des traditions, des préjugés, des intérêts et des chimères, des rêves et des roueries vont se heurter pendant des années pour aboutir au triomphe de la Prusse. C’est ce que l’on suit au cours de ce livre, à travers les pensées et les écrits de hautes personnalités qui ont rarement été aussi bien présentées : la reine Victoria, active, autoritaire et réaliste ; le Prince consort, Albert, à la pensée rapide, cultivée et idéaliste ; le roi des Belges, Léopold Ier, de froide ténacité et d’intelligence sèche, grand politique ; et autres spectateurs ou acteurs du drame qui se joue entre Napoléon III et Bismarck au milieu d’intrigues diplomatiques et ministérielles.
Après les années brillantes du second Empire, après les heures charmantes de la Belle Hélène et de la Princesse de Gerolstein ce fut la capitulation de Sedan et la paix de Francfort. La France républicaine a dû reconquérir l’Alsace et la Lorraine que Napoléon III avait perdues. En face d’une Allemagne défaite, il lui reste aujourd’hui le même problème prussien, c’est-à-dire allemand, à résoudre, en accord avec l’Angleterre. Jacques Bardoux souhaite que son livre, en faisant mieux connaître un passé douloureux, aide à mieux comprendre un présent tragique, « à éviter ainsi, dans l’avenir le renouvellement des mêmes fautes ».