Servir. T. III : La guerre, septembre 1939-19 mai 1940
Ce livre est le troisième et dernier volume des mémoires publiés par l’ancien généralissime de mai 1940, sous un titre modeste mais habilement calculé pour décourager dès l’abord toute critique malveillante. L’auteur nous a, d’ailleurs, prévenus que ce n’était là qu’un extrait de la « contribution personnelle » qu’il se proposait d’apporter aux historiens de l’avenir.
Malheureusement, ainsi que l’a fait remarquer avec pertinence un critique autorisé à propos du récent ouvrage de Joseph Caillaux, le propre des mémoires est que leurs auteurs ne fixent qu’à leur point de vue les affaires du temps où ils ont vécu et qu’ils abondent toujours dans leur propre sens, qui est sens unique. Et si nous en croyons l’accueil réservé aux deux premiers volumes de sa plaidoirie, le général Gamelin, malgré tout le talent qu’il aura déployé dans la présentation des documents et des faits, éprouvera quelque peine à convaincre ses contemporains. Ils se sont trouvés mêlés de trop près eux-mêmes aux événements.
S’appuyant sur des déclarations, plus ou moins contrôlables à l’heure actuelle, du général Guderian, l’auteur s’efforce d’abord de détruire la « légende » de la supériorité écrasante des forces allemandes en chars : l’article du colonel de Cossé-Brissac de la Revue de Défense nationale (juillet 1947, p. 75) semble avoir mis le point final à cette discussion.
Le chapitre intitulé : « L’offensive pour la Pologne » nous expose les modalités de cette bataille à la frontière lorraine : courte avance et rapide repli, sorte de pas de deux, qui a laissé aux participants une impression si mortifiante et a fait aussitôt, en Europe, s’interroger avec anxiété tous ceux qui s’efforçaient encore de croire à notre puissance militaire.
Le général Gamelin n’aime pas beaucoup cette expression : « la drôle de guerre », il tente de nous persuader qu’il n’en a pas compris le vrai sens, un sens qui le gène évidemment. Quand on fait la guerre, on se bat. Et le peuple français, à l’intérieur comme aux armées, se souvenant de 1914, ne comprenait pas pourquoi on ne se battait pas. Malgré son manque d’enthousiasme, pouvait-il deviner et admettre que, si nous restions immobiles derrière la ligne Maginot et une frontière soi-disant neutre, c’était parce que – si l’on veut en croire l’explication du général Roton dans un livre récent – nous manquions des obus de rupture propres à percer les ouvrages de la ligne Siegfried !...
Toutes les doctes et abondantes considérations qui suivent, dans Servir, sur le problème de la Belgique, celui des Balkans, sur l’attaque allemande en Norvège et enfin la bataille de la Meuse, nous rappellent un peu les surprises des généraux autrichiens devant la stratégie inattendue et foudroyante de Bonaparte en Italie et les explications pénibles qu’ils tentèrent vainement d’accréditer sur leurs défaites.
Il est bien tard pour préparer la victoire dans les jours qui suivent la mobilisation. Les premières batailles d’une campagne se jouent avec l’outil forgé dans la paix. Or, nous ne pensons pas que, dans les années qui ont précédé immédiatement le conflit, ce soit un autre que le général Gamelin qui ait eu la charge de la préparation intellectuelle, morale et matérielle de l’armée française.
Quand les faits ont parlé – et fort brutalement – il est bien difficile de réussir à leur faire dire le contraire après coup. Un chef militaire – fût-il un grand capitaine – ne saurait être toujours heureux à la guerre. Mais si le sort lui a été contraire et si ses combinaisons n’ont pas été couronnées par le succès, il a tout à gagner en ne reniant, pas ses responsabilités, en n’accusant pas ses subordonnés – qu’il a choisis lui-même – et en gardant dans sa retraite un silence plein de modestie et de dignité.