Quarante millions de pétainistes (juin 1940-juin 1943)
Ce deuxième tome de la « Grande histoire des Français sous l’Occupation » se veut, dans la lignée du précédent, une minutieuse enquête de psychologie historique cherchant à cerner les rapports entre le maréchal Pétain et les Français de juin 1940 à juin 1943. Henri Amouroux fait preuve ici d’un réel talent de conteur. Son ouvrage est en effet construit comme une pièce de théâtre : la première partie nous présente les protagonistes (L’homme de 1856 et les Français de 1940) ; la deuxième introduit les chœurs (L’assemblée des fidèles) et la troisième voit l’entrée en scène des futurs héros (Des adversaires bien élevés).
L’auteur montre bien le paradoxe de Pétain, homme du XIXe siècle. Cet archaïsme du personnage transparaît dans sa correspondance : nous l’y voyons se préoccuper des moindres détails pratiques de la mise en bouteille de son vin alors qu’il est ambassadeur en Espagne, en mars 1939…
Mais l’aveuglement du personnel politique de la IIIe République n’est pas dissimulé. Henri Amouroux souligne le fait qu’aucun des parlementaires réunis à Vichy ne remettait en cause l’armistice. Ceux hostiles aux pleins pouvoirs furent même empêchés d’intervenir par leurs collègues. Si ces bouleversements politiques s’effectuèrent si aisément, c’est que les Français pensaient surtout à subsister dans un pays où le ravitaillement devenait de plus en plus difficile. Le nombre des vols passa ainsi de 35 000 en 1938 à 103 000 en 1941… Toutefois, il est certain que le vieux maréchal sut créer un courant d’adhésion populaire à sa personne. L’évocation des manifestations du pétainisme quotidien constitue un des meilleurs passages du livre. La « panoplie des gadgets pétainistes » (foulards, cendriers…), les bains de foule du chef de l’État français et les homélies du clergé dressent le portrait d’un peuple cultivant le sens du repentir et fuyant celui des responsabilités.
Même les premiers résistants n’échappèrent pas totalement à cette atmosphère de révérence pour le chef providentiel surgi de la défaite. Ceux de Londres, mis à part de Gaulle, se refusèrent pendant longtemps à attaquer le « Maréchal », tandis que le Parti communiste resta silencieux sur l’occupation allemande pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’à partir du printemps 1941 que la résistance dans son ensemble considéra Pétain comme un collaborateur.
Pour Henri Amouroux, l’histoire ne se limite donc pas au dépouillement des archives, mais doit aussi tenir compte des sentiments éprouvés par les dirigeants et par la masse des « obscurs, des sans-grades ». La faiblesse de l’ouvrage, si faiblesse il y a, réside peut-être justement dans cette approche psychologique, qui amène parfois l’auteur à privilégier en Pétain l’individu au détriment de l’homme d’État. Les motivations de la collaboration se trouvent ainsi quelque peu minimisées (1). Mais ceci ne diminue pas l’intérêt d’un ouvrage qui constitue une importante contribution à l’étude des mentalités collectives au lendemain du désastre de 1940. ♦
(1) Cf. à ce sujet Robert Paxton : La France de Vichy ; Éditions du Seuil, 1973 ; 375 pages.