Libye, des révolutionnaires aux rebelles
Libye, des révolutionnaires aux rebelles
Depuis la mort brutale de Kadhafi en octobre 2011 à la suite de l’intervention militaire soutenue principalement par la France et le Royaume-Uni consécutivement aux « Printemps arabes », avec l’appui des pays du Golfe, la Libye a basculé dans une nouvelle guerre civile et est toujours en proie à tous les tourments et les affres d’une reconstruction institutionnelle ratée.
Des milices surarmées et d’origines tribales diverses ont pris pied progressivement dans les différentes villes du pays, menaçant la population, tandis que le pouvoir politique est incapable de proposer une solution cohérente aux difficultés issues de l’effondrement du régime du colonel Kadhafi. De son côté, l’armée vaincue par la coalition a été disloquée et s’est éparpillée sur le terrain au gré des intérêts de groupes particuliers ou de chefs locaux. L’État central – déjà faible techniquement auparavant, en raison des sautes d’humeur de Kadhafi – s’est, par ailleurs, révélé incapable de diriger le pays et est scindé par des rivalités régionales, principalement est-ouest, reflétant l’absence d’unité nationale – une réalité historique – de cette vaste région peu peuplée et principalement constituée de déserts peu attractifs, mais riches des ressources du sous-sol avec les hydrocarbures principalement. Et de fait, le pétrole constitue à la fois un enjeu et un atout pour les factions en lutte, car elles ont besoin de se financer, et cette matière première est une manne essentielle permettant d’alimenter tous les trafics, y compris humains.
Hélène Bravin, spécialiste reconnue de la région et auteure d’un ouvrage remarqué sur Kadhafi (Kadhafi, vie et mort d’un dictateur, Éditions François Bourin, 2012) et Kamel Almarache essayent de dénouer, avec cet ouvrage très documenté, l’écheveau de cette descente aux enfers apparue dans la Libye post-jamahiryienne, en donnant des clefs de compréhension sur la constitution progressive des milices – souvent sur des critères tribaux – et leur rôle dans cet immense territoire quasi vide et sur la déliquescence du pouvoir politique à Tripoli, ainsi que sur l’apparition du maréchal Khalifa Haftar, longtemps en exil après avoir connu l’humiliation de la captivité dans les années 1980 face aux troupes tchadiennes et dont l’ambition est de diriger le pays.
La démobilisation de l’armée à la suite de la mort du colonel Kadhafi a cristallisé toutes les rancœurs d’une troupe défaite militairement et détricotée moralement, et de ses chefs en mal de reconnaissance et de rôles à jouer dans une nouvelle Libye aux forces centrifuges. En l’attente d’élections nationales présidentielles et législatives voulues par la communauté internationale, essayant de mettre en place un dialogue entre toutes les parties prenantes, le pari de la reconstruction politique de la Libye reste hasardeux et semé d’embûches tant les ambitions des uns et des autres sont fortes et en totale contradiction. Parmi les questions non résolues, comment intégrer d’une façon ou d’une autre les milices au sein d’un appareil de défense unique qui lui n’existe que difficilement ?
D’où l’intérêt de ce livre qui permet ainsi d’avoir un éclairage utile sur un pays – mal connu – et dont la stabilité est nécessaire tant pour le continent africain, en particulier pour la bande sahélo-saharienne en pleine déstabilisation malgré les efforts de l’opération Barkhane, que pour l’Europe, en raison notamment de la question migratoire. En effet, les flux de migrants africains et venant du Moyen-Orient transitant par la Libye constituent un enjeu à la fois humanitaire et sécuritaire pour une Union européenne réceptacle de ces migrations de la misère. Il ressort, à la lecture du livre, de nombreuses interrogations sur l’avenir des Libyens dans une région aux fortes tensions. Avec la perspective d’une Libye longuement divisée en deux entités principales bénéficiant des ressources du pétrole et donc n’ayant aucun intérêt à se réunifier. ♦