Discours du Premier ministre lors de la séance d'ouverture de la 34e session de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 14 septembre 1981.
La cohérence d'une politique de défense
Il est de tradition que le Premier ministre vienne inaugurer vos travaux en traçant devant vous les orientations de la politique de défense du pays. C’est en effet le chef du gouvernement qui, comme « responsable de la défense nationale », exerce, aux termes de l’ordonnance du 7 janvier 1959, « la direction générale et la direction militaire de la défense, sous la haute autorité du Président de la République, chef des armées ». Les profondes modifications intervenues dans les équilibres politiques du pays et les hasards de votre calendrier de session font que ma présence parmi vous suscite, paraît-il, une certaine curiosité.
Vous-mêmes, et bien d’autres au-delà de cette salle, attendez de légitimes précisions. Or, il se trouve que votre session prend place avant que les délibérations gouvernementales aient pu avoir lieu. Vous comprendrez aisément qu’il ne m’appartient pas ici d’anticiper sur nos décisions futures.
Mais, rassurez-vous, le gouvernement a, de sa politique de défense, une idée précise. Depuis plus de dix ans, nous avons conduit, dans ce domaine, une réflexion approfondie grâce notamment, ai-je besoin de le souligner, aux travaux animés par Charles Hernu, aujourd’hui ministre de la Défense, que j’ai plaisir à saluer. À cette réflexion, l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale a déjà largement contribué. Il doit continuer.
Votre Institut est un de ces lieux rares et privilégiés où toutes les composantes de la nation savent se retrouver pour débattre sereinement des nécessités et des contraintes de notre commune sécurité.
Permettez au premier chef d’un gouvernement de gauche sous la Ve République de vous rappeler que, si la nécessité d’une telle institution fut mise en évidence, dès 1931, par l’amiral Castex, c’est Léon Blum qui, en 1936, créa le « Collège des Hautes Études de Défense Nationale » dont vous êtes les héritiers. Et le chef du gouvernement de Front Populaire expliquait déjà que l’objectif poursuivi consistait à créer, entre tous les auditeurs, « une unité de sentiment, de pensée et de doctrine ».
Je sais que, sous la houlette de l’amiral de Castelbajac, vous maintiendrez cette déjà longue tradition et que vous me transmettrez, à l’issue de votre session, les fruits d’une réflexion que j’espère riche, originale, et donc fructueuse.
Pour vous aider dans votre démarche, je voudrais brosser rapidement le cadre dans lequel doivent se situer vos recherches. Pour un gouvernement, la défense, comme la menace, est globale et ne peut être étudiée d’un seul point de vue militaire. Avant même de parler stratégie, avant même de parler armements, il convient de savoir s’il existe, au sein de la communauté nationale, un esprit de défense. Pour que cet esprit de défense se manifeste, il est nécessaire que la notion de communauté soit vécue par l’ensemble du pays. Un pays divisé est un pays faible. Pour que les Français prennent activement en charge leur sécurité, il faut qu’ils se sentent épaulés, protégés par leur appartenance à la nation. Prenons l’exemple du chômage. Qui ne voit, ne serait-ce que par l’exemple de certains pays voisins, l’effet pernicieux qu’il exerce sur nos structures sociales ? Il tend à les désagréger.
D’un côté, on assiste à la marginalisation progressive d’une fraction de la jeunesse qui, se sentant exclue de la communauté nationale, tend à se rebeller contre elle et à verser dans la délinquance. D’un autre côté, on voit s’élargir la masse des assistés qui, passivement, se résignent à un statut de citoyen de seconde zone.
Que peut dès lors signifier, pour les uns comme pour les autres, l’esprit de défense ? La politique du gouvernement, axée à la fois sur une relance économique et sur une nouvelle répartition de la charge de travail, tend à combler les failles ainsi créées. Car, avant de pouvoir demander à des citoyens d’assumer leurs responsabilités à l’égard de la société, il convient que celle-ci garantisse leurs droits, et en premier lieu leur droit au travail.
C’est notamment en intégrant ces données que doit se prolonger et s’approfondir la réflexion sur le service national, son contenu et sa durée. Au-delà du fait que notre force de dissuasion nucléaire ne peut être la seule garantie de notre défense, et qu’il importe que nos trois armées traditionnelles disposent d’effectifs suffisants, bien instruits et bien équipés, le service national est l’une des expressions de la solidarité nationale. C’est à travers lui que peut et doit se manifester l’adhésion du peuple français, indispensable à l’efficacité de notre politique de défense.
Au-delà des phénomènes conjoncturels qui nous interdisent, dans l’immédiat, de réduire la durée du service militaire, demeure la nécessité d’améliorer son efficacité. Cette période, pendant laquelle chaque citoyen remplit certes un devoir mais exerce surtout son droit d’apprendre le métier des armes, doit correspondre à une authentique formation. Et comme il s’agit d’un droit dévolu à chaque citoyen, il n’y a aucune raison que les femmes s’en trouvent exclues au nom d’une tradition historique. Il convient donc d’encourager le volontariat féminin.
Un service militaire plus dense et à caractère réellement opérationnel permettrait de poser de manière dynamique le problème de la défense du territoire par le recours à une mobilisation vraiment populaire.
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Le second élément qu’un gouvernement est amené à prendre en compte lorsque l’on parle de défense, c’est le fonctionnement de notre appareil de production. L’indépendance du pays dépend d’abord de la puissance de son économie, de l’autonomie de sa technologie et de la stabilité de ses ressources en énergie et en matières premières. Dans un contexte international de crise, la France a vu ses positions s’affaiblir dans ces différents domaines. Là encore, la politique du gouvernement vise à effectuer l’indispensable redressement, notamment en prenant appui sur un secteur public élargi, en maîtrisant les flux financiers par la nationalisation du crédit et en consentant un effort budgétaire particulièrement sensible au profit de la recherche civile.
Dans le domaine énergétique, sans préjuger les conclusions du débat qui aura prochainement lieu au parlement, je peux préciser que le gouvernement est décidé à mener une politique qui repose sur trois idées-forces :
— accélérer les économies d’énergies qui offrent le double avantage d’épargner nos devises et d’être créatrices d’emplois, notamment au niveau des petites et moyennes industries ;
— exploiter au maximum les ressources nationales, qu’il s’agisse par exemple du réexamen de la situation des bassins charbonniers ou de la mise en exploitation du massif forestier français ;
— poursuivie, avec toutes les garanties de sécurité nécessaires, un programme d’équipement électronucléaire.
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Ces caractéristiques ne sont, il est vrai, pas propres seulement à la France. La crise touche l’ensemble du monde occidental et frappe en particulier nos partenaires européens. C’est donc l’ensemble de la zone géopolitique dans laquelle nous sommes insérés qui se trouve affaibli. Car, tout déclin d’une nation de la Communauté conduit à une perte de puissance de l’ensemble. C’est pourquoi un effort de réorganisation et de solidarité s’impose à l’échelon européen.
Il est en effet frappant de constater que les problèmes se posent de manière équivalente dans chacun de nos pays, indépendamment des particularismes sociopolitiques. Ce sont les mêmes obstacles qui se dressent en Europe face à la constitution aussi bien d’un espace social commun, prôné par le Président de la République François Mitterrand, que d’un espace de défense militaire. En outre, le tissu de nos alliances menace de se trouver distendu dès lors que tel ou tel partenaire se place en situation de mener contre nous une véritable guerre économique.
Or, la France entend demeurer fidèle à ses alliés, au premier rang desquels se trouvent les États-Unis d’Amérique. Le gouvernement est parfaitement conscient de l’apport fondamental que constitue, pour l’équilibre des forces, la dissuasion américaine. Mais comment ne pas voir que cette dissuasion américaine est destinée à protéger les États-Unis bien sûr, le camp occidental bien entendu, et pas seulement la France, naturellement. Mais j’allais dire, pas d’abord la France !
La France, bien qu’elle se soit volontairement retiré de l’organisation militaire intégrée, voit dans l’Alliance atlantique non seulement un organisme de sécurité collective, mais surtout une communauté humaine dont elle fait partie et dans laquelle elle assume une politique respectant son génie propre. Notre engagement est là, mais le contenu du traité devrait pouvoir, un jour, être adapté au nouveau contexte historique. De même, la France assume l’ensemble des traités dont est issue l’Union de l’Europe Occidentale. C’est d’ailleurs cette fidélité qui l’amène à promouvoir la construction européenne en vue d’un redressement économique commun, de la réduction des inégalités et d’une coopération loyale avec les pays en voie de développement.
La France n’oublie pas les liens qu’elle a tissés outre-mer, particulièrement en Afrique, et dont la solidité se manifeste quelles que soient les péripéties de l’histoire. Au nom de cet héritage, notre pays doit avoir un rôle dynamique dans les relations des pays industrialisés avec ceux qui ne le sont pas. Il doit en particulier s’attacher à faire en sorte que les relations Nord-Sud, dont dépend l’avenir de l’humanité, ne soient pas hypothéquées en permanence par le débat Est-Ouest.
Nous récusons une conception du monde bipolaire. Ce n’est qu’en multipliant les centres de décision que les évolutions nécessaires pourront se développer, que l’Europe pourra retrouver son autonomie et que le Tiers Monde pourra accéder à une indépendance réelle. C’est cette analyse qui nous conduit notamment à affirmer avec force le droit des peuples à l’autodétermination. C’est elle qui nous amène à combattre les ingérences étrangères, que ce soit en Afrique ou en Amérique latine, en Pologne ou en Afghanistan. C’est elle enfin qui fera toujours de nous les défenseurs acharnés des droits de l’homme.
C’est parce que nous sommes convaincus que les plus graves périls qui menacent notre planète ont nom sous-développement et dissémination nucléaire que nous nous prononçons fermement pour une limitation et une réduction simultanée et négociée des armements. Mais de telles négociations ne sont possibles, notamment au niveau de l’espace européen, que s’il existe au préalable un équilibre des forces. Si cet équilibre est rompu, ce qui est le cas aujourd’hui, il convient de le rétablir, ainsi que l’a précisé le Président de la République, avant que puisse s’engager une discussion sur le fond.
Comme vous le voyez, la politique de la France n’est en rien neutraliste. Le voudrions-nous que la seule situation géographique du pays nous l’interdirait. Compte tenu, en outre, de notre niveau de développement, tout isolement est impraticable. Nous devons en tirer les conséquences, notamment lorsque nous examinons la défense de nos frontières et de leurs approches. L’agression contre la France ne commence pas lorsqu’un ennemi pénètre sur le territoire national.
Attentive aux menaces qui pointent dans un monde instable et qui tourne, malheureusement, de plus en plus souvent le dos aux règles que la communauté internationale s’est données, fidèle à ses alliances, consciente de son appartenance à un espace européen, la France entend conserver l’autonomie de ses choix et de ses décisions en matière militaire, cet ultime recours des relations extérieures. Le moyen de cette autonomie de décision, c’est la dissuasion nucléaire.
Si le général de Gaulle a pu mener une politique militaire indépendante qui a conduit à faire sortir la France de l’organisation militaire intégrée du traité de l’Atlantique Nord, c’est parce qu’il a choisi de doter le pays de l’arme nucléaire. Il est vrai que la recherche, dans ce domaine, avait été engagée bien avant l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle.
Le gouvernement prend intégralement en charge cette option.
L’équipement militaire du pays ne lui offre d’ailleurs pas d’autres voies de recours.
Conduit à rechercher une défense militaire indépendante, notre pays a mis en place une puissance nucléaire dont il n’est redevable à personne. Cela lui donne dans le monde, et particulièrement en Europe, un rôle spécifique.
En fonction de leur stratégie propre, les États-Unis et l’Union Soviétique se sont dotés d’une panoplie d’outils militaires dont l’asymétrie résulte des concepts différents qui servent de fondement à ces États. Le développement de ces arsenaux aboutit à une situation marquée par le fait que des organismes officiels, et non des moindres, doutent publiquement que les États-Unis aient conservé leur suprématie. Or, l’équilibre des forces est, au minimum, indispensable pour prévenir la guerre, et surtout mieux organiser la paix.
Dans ce contexte, l’objectif de la force de dissuasion française demeure de décourager préventivement un adversaire de se livrer à une agression contre nos intérêts vitaux et, en premier lieu, contre le territoire national. Une agression armée visant la souveraineté de la France est, en effet, la plus grave des menaces contre laquelle la nation doit se prémunir. Il s’agit de préserver l’indépendance nationale, c’est-à-dire la possibilité de pouvoir effectuer, en toute liberté, des choix politiques et diplomatiques. L’agresseur potentiel doit clairement percevoir que son action entraînera pour lui, en riposte, des pertes humaines et des dégâts matériels sans commune mesure avec le profit qu’il peut escompter de son initiative.
Dans cette optique, la guerre constitue l’échec de la dissuasion.
La stratégie française demeure donc celle de la dissuasion du faible au fort, c’est-à-dire une stratégie qui ne peut qu’être anti-cités. Son principe réside dans la possibilité de pouvoir infliger à l’agresseur, même plus puissant, des dommages estimés supérieurs à l’enjeu que représentent pour lui les intérêts vitaux du pays. Cela a été rendu possible par ce qu’on appelle le pouvoir égalisateur de l’atome. Mais encore faut-il que cette dissuasion soit crédible, c’est-à-dire animée au premier chef par une volonté politique inébranlable s’appuyant sur une doctrine claire et affirmée ainsi que sur l’existence de moyens suffisants pour que l’adversaire les prenne en compte au point de renoncer à son attaque.
Une stratégie n’est cependant pas immuable et doit s’adapter à l’évolution des menaces et des technologies. Il est certes hors de question que la France puisse adopter, à l’instar des États-Unis, une stratégie de dissuasion comportant une gamme variée et complète de ripostes qui pourrait être adaptée, selon la situation, aux différents niveaux possibles d’agression. Cette stratégie, qui est sans doute adaptée aux possibilités et aux intérêts américains en Europe, prévoit de mettre en œuvre toute une gamme d’actions correspondant aux degrés de violence dans l’agression. L’objectif est de restaurer la dissuasion à un palier choisi, en décourageant l’adversaire de franchir un échelon de plus dans cette escalade de la violence par la menace d’une riposte plus dommageable. Selon ce concept, l’Europe peut très bien n’être, pour les États-Unis, qu’un barreau de l’échelle de la violence et non l’une des fins suprêmes de leur défense. Éventualité inacceptable pour des Français. Éventualité qui devrait faire réfléchir les Européens à la perspective d’un ensemble politique disposant d’une défense autonome.
Cette stratégie américaine suppose une panoplie suffisante de moyens, ce qui est totalement impossible pour la France au regard du potentiel développé par les deux superpuissances. Elle est d’ailleurs officiellement rejetée, de manière radicale, par les Soviétiques. Les États-Unis cherchent donc à l’imposer à l’URSS, mais le niveau atteint par le potentiel militaire de ce pays rend de plus en plus difficile cette entreprise.
Il existe une supériorité quantitative des forces du Pacte de Varsovie par rapport à celles de l’Alliance Atlantique. Cette supériorité est encore accrue depuis que les Soviétiques ont développé, avec le missile SS 20, une arme qui menace spécifiquement l’Europe. Elle a un effet déstabilisateur et justifie en conséquence l’existence d’une force française de dissuasion autonome.
Ce développement permanent des armements nucléaires contraint la France à moderniser en permanence son propre potentiel.
À l’heure actuelle, nos forces nucléaires stratégiques reposent sur trois composantes complémentaires :
— les Mirage IV dont la souplesse d’emploi permet au gouvernement des possibilités de gesticulation dans la conduite des crises ;
— les missiles sol-sol du plateau d’Albion qui, par leurs caractéristiques et leur implantation sur le territoire national, imposent à un adversaire, pour les détruire, de lancer une attaque de grande envergure qui ne peut rester « anonyme » ;
— les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins qui, par leur invulnérabilité en haute mer et la permanence de la menace qu’ils font peser, quoi qu’il arrive, constituent une capacité de frappe en second qui sanctuarise le territoire national.
C’est dans ce cadre global qu’est étudiée la décision de construire un septième sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Ainsi la France pourra-t-elle maintenir à la mer trois sous-marins invulnérables, aptes en permanence et quelles que soient les circonstances à tirer leurs quarante-huit têtes mégatonniques. Cette capacité sera encore augmentée par la mise en service, en 1985, du missile à tête multiple M4.
En l’état actuel et prévisible de la technologie à l’horizon de l’an 2000, le sous-marin nucléaire reste un élément déterminant de notre système de défense. Il est en effet invulnérable parce qu’indétectable au fond des mers. La portée accrue des vecteurs mis en service en 1985 renforcera encore cette invulnérabilité en accroissant la superficie possible des zones de patrouille.
Si la force océanique stratégique représente ainsi l’ossature de la dissuasion française, celle-ci ne saurait toutefois être réduite à ce seul volet. En effet, le souci de diversification répond à la menace d’une percée technologique malgré tout possible. C’est pourquoi il faut également mener à son terme l’effort de modernisation sur les missiles du plateau d’Albion et même sur quelques Mirage IV qui recevront le missile air-sol moyenne portée. Il reste donc nécessaire de poursuivre notre effort d’adaptation aux progrès techniques. Dans cet ordre d’idées, il est possible de mettre en service une autre composante, qui se substituerait aux Mirage IV, dont les premiers exemplaires commencèrent à voler en 1959.
En dépit des adaptations et de la modernisation permanentes, la dissuasion nucléaire stratégique peut se révéler insuffisante à elle seule ou être tournée. Pour éviter ce contournement, aux forces nucléaires stratégiques s’ajoutent des forces classiques, valorisées par des armes nucléaires tactiques.
L’armement nucléaire tactique a pour vocation de restaurer la dissuasion au niveau stratégique. Son emploi signifierait la détermination du Président de la République d’aller jusqu’aux extrêmes et de recourir, si besoin est, aux armements nucléaires antidémographiques.
Il ne s’agit donc pas d’utiliser l’armement nucléaire tactique pour gagner une bataille mais de brandir, grâce à lui, de façon crédible, la menace nucléaire stratégique si un conflit armé devait être malgré tout déclenché par l’agresseur sur le théâtre européen. La présence de cet armement au sein de nos forces conventionnelles contraint, en outre, l’adversaire à adopter des dispositifs dispersés de sécurité nucléaire qui diminuent sa capacité offensive.
L’armée de terre est équipée, depuis sept ans, du Pluton à qui il faudra trouver bientôt un successeur. La marine, avec ses Super-Étendard embarqués, et l’armée de l’air, avec ses Jaguar et bientôt ses Mirage 2000 armés du missile air-sol moyenne portée, possèdent également la capacité nucléaire tactique.
Comme pour nos forces stratégiques, il convient de suivre les progrès techniques en adaptant et en modernisant périodiquement les vecteurs et les armes de notre armement nucléaire tactique. Les États-Unis viennent de décider de se doter de l’arme à rayonnement renforcé, dite bombe à neutrons, et l’Union Soviétique, pour s’en tenir à ses déclarations, est parfaitement apte à produire de tels armements. Ces faits doivent nous alerter.
Les armes neutroniques sont des armes nucléaires tactiques au même titre que les autres. Elles relèvent donc d’une menace d’utilisation sur un champ de bataille qui pourrait s’étendre à l’Europe Occidentale. En ce qui nous concerne, il ne serait pas rationnel de renoncer a priori à acquérir un armement qui pourrait augmenter notre potentiel dissuasif. Cette capacité reste à approfondir. C’est pourquoi le gouvernement a décidé de poursuivre les études dans ce domaine.
Les obligations découlant du traité de Bruxelles de 1948, ainsi que notre appartenance à l’Alliance Atlantique et l’impossibilité de se désintéresser de nos voisins immédiats, expliquent en outre notre présence militaire sur le sol allemand. Ce volet de notre dispositif militaire n’est pas un élément isolé. La menace militaire que la France doit parer est multiforme. C’est la rançon de notre volonté de paix.
La République française ne prendra jamais l’initiative d’un conflit, initiative qui par définition même appartient à l’agresseur, de même que les modalités de l’attaque. Cela implique que nous devions prendre en compte plusieurs hypothèses. Refuser de se donner les moyens de réagir à une éventuelle agression terrestre serait finalement faire douter de notre résolution à nous défendre et, partant, de notre stratégie de dissuasion.
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Au-delà du territoire national et au-delà même du théâtre européen, en dehors d’engagements internationaux qu’il est impératif de tenir, les intérêts vitaux de la France consistent également à assurer la sûreté de ses approvisionnements et à être en mesure de garantir la sécurité de ses ressortissants outre-mer. Il est donc indispensable de maintenir une capacité d’action extérieure à trois composantes : terrestre, aérienne et bien entendu navale.
Ce dernier volet militaire appartient lui aussi à la dissuasion, en contribuant à la défense de notre indépendance. L’augmentation croissante du potentiel militaire de toutes les nations, y compris de celles du Tiers Monde, nous conduit à réexaminer le type de forces qui doit être affecté à de telles opérations. Une réelle polyvalence de ces forces doit exister afin d’éviter à nos troupes de se trouver confrontées à un adversaire mieux équipé qu’elles. La politique d’armement qui se révèle ainsi nécessaire ne peut se passer d’une programmation, ne serait-ce qu’en raison des délais exigés pour la conception et la mise en place d’un système d’armes. Cette programmation doit s’inscrire dans le plan intérimaire de deux ans, puis dans le plan de cinq ans actuellement en cours d’élaboration.
Deux voies sont possibles pour la France : acheter son armement et accepter une situation de dépendance ; le fabriquer — éventuellement en coopération avec des alliés — et assurer ainsi son indépendance. Mais l’indépendance coûte cher, surtout à une puissance moyenne. Il est donc nécessaire d’effectuer des choix judicieux en matière d’armements. L’erreur nous est interdite car elle ne peut être compensée comme le ferait une superpuissance. D’autre part, une rentabilisation des industries d’armement est indispensable.
La France, certes, n’a pas vocation à être un marchand d’armes. Mais la France ne peut s’interdire d’exporter du matériel militaire. Par rapport à elle-même, bien sûr. Par rapport à ses partenaires aussi puisqu’elle leur permet d’accroître leur marge d’indépendance en leur évitant de devoir se tourner vers l’une des deux superpuissances, avec toutes les conséquences que crée ce type de lien. Le rayonnement de notre industrie d’armement découle d’abord, ne l’oublions pas, de son indépendance.
Dans ce cadre, le gouvernement est néanmoins décidé, tout en respectant scrupuleusement les contrats signés, à ne pas effectuer de livraisons d’équipements militaires aux pays qui pratiquent des discriminations contraires aux droits les plus élémentaires de l’homme.
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Dans le cadre de ce panorama de notre défense, il resterait bien d’autres points à traiter et notamment tous ceux qui concernent directement les personnels. Mais le ministre de la Défense aura prochainement l’occasion de vous en parler au nom du gouvernement. Je ne voudrais cependant pas conclure sans avoir dit, au préalable, un mot de la protection civile. Il s’agit en effet d’un élément important dans le nécessaire développement de cet esprit de défense que j’évoquais tout à l’heure.
Dans la dialectique de la dissuasion, la France devrait prendre l’initiative de la riposte nucléaire contre un adversaire qui menacerait ses intérêts vitaux et qui pourrait lui-même répliquer nucléairement. Elle peut aussi faire l’objet d’une attaque nucléaire par surprise. La très courte durée de trajet des missiles, les effets des armes nucléaires, ne permettent pas de préserver, en toute efficacité, les populations civiles. Pourtant des mesures d’information et de protection doivent permettre de limiter les dommages.
Comment refuser à la population française le droit d’être informée à ce sujet ? Il est donc indispensable de concevoir une organisation de grande ampleur chargée de former la population aux mesures préventives et curatives qui amoindriraient considérablement les pertes dans le cas d’attaque nucléaire. En dehors du fait qu’une telle organisation augmenterait notre dissuasion en affichant une très réelle prise en compte du risque nucléaire encouru par les populations, elle trouverait son utilité en temps de paix en participant à la lutte contre les calamités accidentelles ou naturelles.
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Permettez-moi de terminer cet exposé de la politique gouvernementale en vous rappelant les termes de l’ordonnance de 1959 à laquelle j’ai fait référence en commençant. Il y est précisé que « la défense a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire ainsi que la vie de la population ». Ces termes revêtent une signification pleine et entière parce que les dangers ne résultent plus seulement de la menace d’une invasion brutale.
Je suis certes le Premier ministre du changement mais il y a au moins un point sur lequel la permanence s’impose : les impératifs de la défense.
L’appareil militaire a pour vocation de faire face à certains types de menaces tout en étant largement tributaire d’une série de contraintes inhérentes à la situation internationale et nationale. L’agression prend désormais un caractère multiforme et complexe où tous les facteurs s’imbriquent. La défense ne peut donc être que globale, ce qui correspond bien aux exigences de l’époque contemporaine et encore plus au contexte de crise dans lesquels nous vivons actuellement.
La défense vise la protection de la nation tout entière et, à ce titre, comporte plusieurs facettes, toutes cohérentes entre elles, quelle que soit la gravité des menaces. Cette nécessaire cohérence s’impose comme une évidence, mais elle n’a pas toujours été perçue nettement, dans un passé récent comme dans le présent. Notre premier objectif est donc de la rétablir.
La défense et la sécurité du pays constituent des impératifs qui transcendent les choix politiques. Ils s’imposent à tout gouvernement, et en particulier à celui que j’ai l’honneur de diriger.
Certes, dans un monde où la menace est globale, la défense n’incombe pas aux seuls militaires. Mais leur rôle n’en reste pas moins irremplaçable. Le Président de la République et le gouvernement savent pouvoir compter sur les forces armées, qu’il s’agisse du personnel d’active ou des appelés. Ils leur témoignent leur confiance.
Ils savent aussi pouvoir compter sur l’esprit de défense des responsables économiques et administratifs de la France qui se succèdent chaque année dans votre institut. Ils souhaitent que cet exemple serve à l’ensemble du pays et que nos concitoyens prennent en charge leurs problèmes de défense.
Certes, au milieu du monde troublé dans lequel nous vivons, il leur arrive parfois de s’interroger et de douter. Je voudrais qu’ils mesurent que, si hier, pour la France, organiser sa défense c’était se préparer à la guerre pour la gagner, aujourd’hui, parfaire notre défense c’est prévenir la guerre et se donner des raisons supplémentaires de croire à la Paix. ♦