Editorial
Éditorial
S’il y a bien une question qui taraude le chef militaire, c’est bien celle de savoir s’il sait commander, s’il est capable d’affronter l’épreuve du combat en accomplissant la mission reçue et en ramenant ses subordonnés à bon port. Réfléchir sur l’art du commandement pourrait sembler être un poncif tant de lignes – fort pertinentes d’ailleurs – ont été écrites dessus à commencer par l’Iliade. Car commander, c’est assurer la survie du groupe et cela depuis la nuit des temps.
L’image du chef militaire – le héros – a longtemps prévalu dans l’imagerie occidentale, mais avec les horreurs des conflits du XXe siècle, cette figure est passée de mode au profit d’une autre plus « managériale », plus civile et peut-être plus facile à atteindre. On n’ose plus dire commander ou ordonner, mais manager, obtenir l’adhésion, renforcer le collectif… Certes, tout cela est essentiel surtout lorsque l’on a la responsabilité de conduire des hommes et des femmes dans un environnement opérationnel. À cela se rajoutent les évolutions technologiques. Fini le temps où le chef de l’escadre partait en expédition juste muni d’une lettre d’instructions et à lui de faire les bons choix au bon moment pour remporter la victoire. Il ne rendrait compte qu’au retour… Aujourd’hui, la dictature du temps court et l’omniprésence des réseaux font que sa liberté d’action peut être restreinte. Fini le temps où, du haut de sa passerelle ou de son cheval, il pouvait à la fois superviser l’action en cours et donner quelques ordres verbaux pour conduire la troupe. Aujourd’hui, il suit derrière des écrans affichant des données multiples à partir desquelles il va falloir qu’il décide. Décider dans la complexité. Décider dans l’incertitude. Décider dans la guerre.
D’où ce dossier atypique constitué de travaux réalisés par des officiers de Marine dans leur première partie de carrière et qui ont été amenés en quelque sorte à quitter l’environnement de haute technologie de leur quotidien pour réfléchir à ce qu’est le commandement. En s’appuyant sur des exemples historiques qui leur parlent, ils s’interrogent sur les qualités d’un chef. Cette démarche est essentielle, car préparer les engagements de demain ne peut pas se limiter à la mise en œuvre de technologies aussi perfectionnées soient-elles. Il faut d’abord commander. À la mer, il faut faire fusionner ainsi un chef, le commandant, un équipage et un navire. C’est une alchimie complexe qui ne s’improvise pas et qui demande donc, de la part du Pacha, de s’y préparer depuis l’instant où il a franchi la coupée.
Commander reste ainsi l’apanage de l’officier et cela est essentiel dans un monde en pleine mutation et où les crises se succèdent. Nos armées y répondent avec une efficacité reconnue et obtiennent des résultats tactiques indispensables pour que le politique puisse prendre la main. Mais les sollicitations, tant en Opex que sur le territoire national, interrogent sur notre modèle d’armée qui reste celui de la professionnalisation décidée il y a déjà un quart de siècle. Est-il à la hauteur des enjeux stratégiques de demain ? Or, le contexte a changé avec le retour du rapport de force, des ambitions régionales et de l’éclatement du multilatéralisme. Remonter en puissance devient une nécessité, non seulement pour nos forces, mais aussi pour notre souveraineté industrielle et numérique. Il est urgent de rehausser notre niveau d’ambition, ne serait-ce que pour préserver notre liberté d’action, un principe essentiel pour un chef. ♦