Marmont – Le maudit
Marmont – Le maudit
« Marmont sera l’objet d’horreur pour la postérité. […] il ne saurait se pardonner à lui-même et il terminera sa vie comme Judas. » Cette prédiction de Napoléon s’est avérée assez exacte, même si le dernier survivant des maréchaux de l’Empire mourra seulement en 1852, bien après son empereur.
Né d’une famille de petite noblesse en 1774, Auguste Viesse de Marmont reçoit une éducation soignée. C’est un grand jeune homme brun taillé en athlète et infatigable. Son père, seigneur de Marmont en Bourgogne, obtient pour son fils de quinze ans un premier brevet de sous-lieutenant. En 1791, il rencontre le lieutenant Bonaparte à Dijon. L’année suivante, il est reçu au concours de l’École d’artillerie de Chaumont. En novembre, il est envoyé à Toulon où Bonaparte lance l’assaut du fort Mulgrave le 17 décembre. Marmont est à la tête d’une colonne et prend le commandement de l’artillerie du fort dès sa reprise. Le 22 décembre, Bonaparte est fait général et le capitaine Marmont le suit à l’armée d’Italie.
En 1795, il est appelé par Bonaparte comme chef de bataillon et aide de camp. Il se distingue à Lodi, puis à Mantoue et encore à Arcole où il sort Bonaparte de l’eau. Il est envoyé à Paris pour rapporter les trophées pris à l’ennemi et est nommé à vingt-deux ans colonel, chef du 2e régiment d’artillerie à cheval. Bonaparte l’envoie négocier avec le pape Pie VI puis avec l’archiduc Charles. En 1798, il se marie avec Hortense Perrégaux, fille d’un influent et riche banquier parisien, ce qui lui garantira une confortable fortune.
Marmont est un proche lieutenant de Bonaparte. Il reste un guerrier qui a été promu général à vingt-quatre ans pour la prise de Malte. En décembre 1798, il est gouverneur d’Alexandrie. Après Brumaire, il est nommé conseiller d’État, à vingt-cinq ans. En 1802, il commande l’artillerie de l’armée d’Italie et lui fait franchir le fameux col du Saint-Bernard en plein hiver. En 1804, il est commandant en chef de l’armée de Hollande avec huit généraux sous ses ordres.
En 1805, son corps d’armée est engagé sur la route de Vienne. En 1806, il est nommé commandant en chef de l’armée de Dalmatie, où il reprend Raguse (Dubrovnik). Son armée participe à la campagne de 1809 et Napoléon le nomme maréchal, duc de Raguse et gouverneur général des Provinces Illyriennes (Croatie, Slovénie, etc.). Il a trente-cinq ans. Il laissera dans cette zone frontière encore très archaïque une œuvre de modernisation considérable. Son train de vie très excessif est celui d’un vice-roi, largement entretenu par la banque Perrégaux, Lafitte et Cie.
En 1811, l’empereur l’envoie remplacer Masséna en Espagne. La situation est difficile et les Français apparaissent désunis devant les forces de Wellington qui finit par entrer à Madrid en août 1812. Marmont rentre en France ; il a eu un bras fracassé aux Arapiles, qui ne sera jamais vraiment remis. En 1813, il se trouve à nouveau aux côtés de l’empereur en Allemagne. Il est à Lützen, à Dresde et à Leipzig avec le 6e corps. Le 20 octobre, il est à la tête des restes de la Grande armée repliée à Mayence. Mais en décembre, les troupes ennemies reprennent le combat et l’armée décimée doit se replier sur Metz, Verdun, Vitry-le-François, puis bientôt Rosnay et Dampierre, où le duc intrépide se bat l’épée à la main. Il est encore à Meaux, sur l’Ourcq, à Neuilly-Saint-Front, à Fismes. Il se fait battre à Fère-Champenoise et se replie pour protéger Paris ; le 30 mars, il se retrouve de facto commandant en chef, se battant au corps à corps.
La bataille étant perdue, s’engagent alors des pourparlers avec les forces coalisées qui acceptent finalement la capitulation et le départ des troupes françaises. Le 31 mars, les troupes de Marmont prennent position à Essonnes pendant que les coalisés entrent à Paris. Le 1er avril, Napoléon se rend à Essonnes et ordonne à Marmont de se préparer à marcher sur Paris, où la population se montre soulagée de la fin des hostilités. Par ailleurs, l’empereur Alexandre déclare ne plus vouloir traiter avec Napoléon. Marmont est pris en tenaille entre les nombreux partisans de la paix et la loyauté envers son empereur, déchu par le Sénat le 2 avril. Le lendemain, il franchit le Rubicon en trahissant secrètement Napoléon. Mais le 4 avril, celui-ci se résigne à abdiquer et la sédition de Marmont éclate alors au grand jour.
La tache d’Essonnes le poursuit pendant la Restauration, même s’il fait partie de la Maison militaire du roi. Pendant les Cent jours, il se retrouve à Gand avec le roi en exil. De 1815 à 1830, toujours major général de la garde du roi, il va de désillusion en désillusion dans les quelques rôles qu’on lui accorde, y compris dans ses affaires personnelles. Cependant, en 1826, Charles X l’envoie comme ambassadeur extraordinaire à la cour du Tsar, où il brille encore de mille feux.
En 1830, le commandement de l’expédition d’Alger lui est refusé. Le 25 juillet cependant, le roi signe les quatre ordonnances qui allaient mettre le feu aux poudres. Par un malheureux concours de circonstances, Marmont se trouve alors commandant militaire de Paris. Le 27, les troubles éclatent et Marmont se retrouve seul avec ses troupes violemment prises à partie. On comptera plusieurs centaines de morts des deux côtés. Le 29, la situation empire et plusieurs de ses aides de camp sont touchés. Le roi se décide enfin à renvoyer Polignac. Pour calmer les esprits et freiner les désertions, Marmont prend alors l’initiative d’une déclaration aux troupes, dont le caractère politique lui sera largement reproché.
Marmont accompagne Charles X pour son exil en Angleterre. Il passe ensuite en Hollande puis à Vienne qui sera, entre deux voyages, son lieu d’asile jusqu’en 1841. Il se fixe enfin à Venise où il meurt en 1852.
Étonnant destin que celui du maréchal Marmont, vrai guerrier de l’épopée napoléonienne à l’ascension fulgurante, instruit et cultivé, mais dont le caractère n’égalait pas l’intelligence et qui se sera compromis, en 1814 puis en 1830, par vanité sans doute, en sortant de son rôle de militaire. ♦