La parole de nos combattants a été longtemps occultée, avec une communication strictement contrôlée. Or, il est nécessaire que l’expression de nos soldats confrontés aux opérations puisse s’exprimer, d’autant plus qu’il faut expliquer à l’opinion publique la réalité et le pourquoi des engagements militaires.
La parole combattante dans les récits sur les contextes militarisés : imbrications et concurrences
The Soldier’s Version of Military Activity: Differences in Accounts
Our combatants’ opinions and thoughts have long been kept under wraps. Their communication has been strictly controlled and yet our soldiers who have experienced operations need to be able to express themselves—the more so given the need to open public opinion to reality and to the why and wherefore of military commitments.
Au sujet de l’expérience des camps d’extermination et de la déportation, Paul Ricœur écrivait : « La limite pour l’historien, comme pour le cinéaste, pour le narrateur, pour le juge est ailleurs : dans la part intransmissible d’une expérience extrême. Mais […] qui dit intransmissible ne dit pas indicible » (1). Sans que l’expérience du combat soit comparable à celle des camps d’extermination, elles renvoient cependant toutes deux à la question du récit de la violence. Donner la parole à ceux qui ont combattu, c’est laisser une place au « dicible » de la guerre. La parole dont il sera ici question, celle des militaires français ayant participé à des opérations extérieures, peut s’exprimer par des biais divers qui vont du témoignage livré dans un ouvrage personnel à la fiction cinématographique en passant par l’interview donnée à un journaliste lors d’un reportage. Cette parole combattante ne s’épanouit cependant pas en toute liberté : la place qu’elle occupe dépend en effet d’interactions complexes entre des instances de récit, et des structures qui organisent et régulent le récit de la guerre. Ces interactions créent les espaces d’expression, mais elles sont aussi des occasions de tensions au travers desquelles la parole combattante doit se frayer un chemin.
Des structures et des hommes
Parce que la parole militaire est contrainte, les règles et les structures qui président à son expression constituent des cadres qui, s’ils ne déterminent pas tout, pèsent lourd dans la manière dont les récits combattants trouvent leur place. En France, pendant les décennies qui ont suivi la guerre d’Algérie, la communication sur les opérations a longtemps relevé de la seule parole politique.
Ce n’est qu’au fil de réformes successives des services d’information et de relations publiques des armées que la communication sur les opérations occupe peu à peu une place institutionnellement mieux définie, ouvrant un espace pour le retour progressif de la parole combattante. Au Service d’information et de relations publiques des armées (Sirpa), créé en 1969, plusieurs fois réformé, a succédé la Délégation à l’information et à la communication de la Défense (Dicod) en 1998. À l’état-major des armées, une petite cellule de communication, l’EMA Com, croît alors peu à peu. Par les jeux successifs des équilibres et des rapports entre les personnes qui occupent les responsabilités de ces différentes structures, l’EMA Com a acquis au fil des ans une place très forte dans la communication opérationnelle. Parce que ce sont alors des militaires qui s’adressent directement aux journalistes, parce que le contexte des opérations évolue et que la parole politique assume de plus en plus la potentialité guerrière qu’elles contiennent, la parole combattante retrouve une place plus centrale dans la communication opérationnelle à partir de la fin de la première décennie des années 2000. Elle ne s’épanouit cependant pas sans règle ni contrainte ; son expression, dans ce cadre institutionnel, demeure cadrée par les objectifs fixés par les chefs militaires autant que par des autorités politiques soucieuses de leurs propres agendas.
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