La souveraineté nationale passe par le champ économique, d’où l’importance croissante du renseignement dans ce domaine, trop longtemps négligé en France. Il est urgent de renforcer nos dispositifs dans une approche privé-public plus efficace pour rester compétitif.
Le renseignement d’intérêt économique au défi de la souveraineté nationale
Economic Intelligence and National Sovereignty
National sovereignty is linked to economics, hence the increasing importance of intelligence in this field, one too long neglected in France. There is an urgent need to strengthen our capability through more effective public-private measures if we are to remain competitive.
Dans une analyse intitulée Sabordage : comment la France détruit sa puissance (1), Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique, explique qu’on ne peut pas parler de problématique de souveraineté sans penser le développement de la puissance par l’économie. Il donne alors une grille d’analyse en cinq axes : la limitation des dépendances, la localisation de l’activité industrielle, la capacité à se projeter sur les marchés extérieurs, l’entrée dans la compétition informationnelle et la lutte contre la prédation économique. On voit bien, dès lors, que le renseignement dit d’intérêt économique va jouer un rôle clé pour asseoir sa puissance et assurer une souveraineté qui ne peut être en aucun cas synonyme d’autarcie. Son versant sécurité économique est bien connu et a fait l’objet de nombreuses études et controverses ces dernières années avec la perte de plusieurs fleurons français (2) dont le plus emblématique est le rachat d’Alstom power par General Electric sur fond d’extraterritorialité du droit américain (3). Mais qu’en est-il justement de l’autre versant, celui de l’assaillant qui fait du renseignement un facteur clé de sa puissance économique ?
Après la perte d’un des maillons de la chaîne de production nucléaire nationale, la crise sanitaire puis économique, sociale et politique provoquée par la pandémie de la Covid-19 a mis en exergue les failles du dispositif public français d’anticipation, les faiblesses endémiques du tissu industriel et l’absence de doctrine en matière de souveraineté nationale. Quelle défaite stratégique pour une puissance telle que la France que de voir la Chine, d’où est partie l’épidémie, lui proposer l’envoi de masques ! De même, en ne prenant pas dans les temps le virage de la technologie de l’ARN messager, le pays de Pasteur se retrouve tributaire de la diplomatie des vaccins de puissances étrangères qui renforcent ou étendent ainsi leurs sphères d’influence. Une situation d’autant plus regrettable que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 – refondateur du renseignement en France – avait parfaitement prévu le scénario d’une telle crise sanitaire lié à une pandémie (4). Mais prévoir n’est pas anticiper et le versant défensif et réactif de la sécurité économique s’avère insuffisant dès lors qu’il ne s’agit pas seulement de protéger son patrimoine industriel et scientifique, mais aussi de conquérir de nouveaux marchés et d’innover pour gagner en agilité et en indépendance stratégique.
Le rôle du renseignement dans le développement de la puissance par l’économie
Le renseignement économique a toujours joué un rôle clé dans l’accroissement de puissance et l’expansion commerciale, notamment dans la guerre économique franco-anglaise du XVIIIe siècle puis les conquêtes du XIXe. Il prend une nouvelle dimension au XXe siècle avec la question centrale du pétrole et les liens forts qui sont alors tissés entre les compagnies privées et les services d’État. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis développent leur appareil de renseignement tant pour mener la guerre froide que pour accroître leur puissance économique. Dans un souci de souveraineté, la France gaullo-pompidolienne construit un ensemble administré, favorisant les grands projets industriels et spatiaux, l’indépendance énergétique et l’autonomie nucléaire militaire. Les grandes entreprises de cet État stratège servent de bras armé, sécurisant les approvisionnements en matières premières essentielles (Elf-Aquitaine, Cogema, etc.) et préservant ce pré carré en lien avec des services de renseignement qui restent alors trop marqués par les réseaux de la Résistance, travaillent peu ensemble et doivent subir et donc contrer les infiltrations tant soviétiques qu’américaines. Enfin, l’accession du Japon au deuxième rang mondial des puissances économiques met en exergue la mutation d’un appareil de renseignement au profit de son industrie et de ses conquêtes commerciales (5).
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