Si les guerres ont construit en grande partie la France, la question de la défense dépasse désormais la seule approche militaire. Aujourd’hui, penser la sécurité oblige à penser stratégie et donc à englober des réalités plus complexes en acceptant de se poser de vraies questions sur nos ambitions.
La stratégie, de la défense à la sécurité nationale
Strategy—from Defence to National Security
Whilst wars have to a large degree shaped France, the issue of defence nowadays goes beyond the military aspect alone. In considering security today, account has to be taken of strategy, which encompasses a more complex reality and requires penetrating questions to be asked about our ambitions.
Qu’est-ce qu’une stratégie de défense nationale ? Cette question a parcouru le siècle et demi qui nous sépare du gouvernement éponyme dont le mandat vit en 1870 le régime républicain s’installer en France de façon durable. Le lien entre République et défense nationale, au sens d’une politique de défense qui dépasse les aspects strictement militaires, n’est sans doute pas fortuit, tant l’idée de république emporte une conception large des affaires de la Cité. Non pas que nos aînés aient ignoré toute idée d’approche globale, pour utiliser un terme moderne. Les campagnes de Bonaparte en Italie et en Égypte sont de remarquables exemples d’actions à dimension non seulement politique et militaire, mais aussi sociale, économique, culturelle et informationnelle.
Cependant, il est certain que les guerres totales du XXe siècle ont joué un rôle important et paradoxal dans la structuration du concept de stratégie de défense nationale. S’il s’est d’abord agi de favoriser la mobilisation de toutes les ressources du pays pour l’emporter dans une lutte à mort mettant en jeu le sort des nations, la perspective a ensuite été renversée, pour mettre les différents leviers d’action au service de la protection de la population et de la promotion des intérêts du pays tout en repoussant au maximum la perspective de l’ultime épreuve de force. Par-delà ces différences d’approche, les questions sont restées les mêmes : quels sont les volets de l’action publique à intégrer dans l’idée de défense nationale et comment les associer au mieux pour les rendre efficaces ? Cette question a été renouvelée lorsqu’en 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a succédé aux éditions de 1972 et 1994 consacrées à la seule défense nationale. Si la portée de la rupture ne doit pas être surestimée, elle annonça le début d’une nouvelle période de notre conception de la stratégie qui nécessite aujourd’hui un effort de réflexion renouvelé.
Le Livre blanc de 2008, fausse rupture, vraie anticipation
Pour apprécier la portée de la nouveauté introduite en 2008, il faut examiner les documents précédents, dont la largeur de la perspective et l’accent mis sur le lien entre sécurité extérieure et intérieure ne sauraient faire de doute. La formule de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense en atteste : « la défense a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes formes de menaces la sécurité et l’intégrité du territoire ainsi que la vie de la population. Elle pourvoit de même au respect des alliances, traités et accords internationaux ». Le Livre blanc de 1972 ne fit que confirmer cette approche en affirmant que la défense nationale, « si elle se manifeste essentiellement par l’existence de forces armées, s’appuie sur bien d’autres réalités, démographiques, économiques, sociales et culturelles notamment ». Ainsi, non seulement la défense était alors bien conçue comme globale, mais elle intégrait les préoccupations liées au territoire national. La place dévolue à la Gendarmerie nationale est révélatrice de cette préoccupation. Après avoir évoqué le rôle des trois armées, le Livre blanc de 1972 soulignait qu’« implantée sur l’ensemble du territoire en métropole et outre-mer, forte de 66 000 hommes, cette arme d’élite constitue depuis bientôt deux siècles un des rouages les plus solides et les plus efficaces à la fois de notre sécurité, de notre politique et de notre vie sociale ». L’édition de 1994 s’inscrivit dans la même perspective. Édouard Balladur expliquait en préface que « la défense revêt un caractère global, qui ne se réduit pas à sa dimension militaire ». Le texte indiquait en conséquence que « la sécurité intérieure et la sécurité extérieure sont de plus en plus étroitement liées ». Les responsabilités sur le territoire national subirent cependant une évolution, la Gendarmerie s’y voyant attribuer l’essentiel de la responsabilité militaire : « sa vocation principale reste l’accomplissement de missions relevant de la posture permanente de sûreté et des missions de service public et de défense civile », alors que les rédacteurs croyaient pouvoir noter que « la pertinence du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT) ne s’impose plus aujourd’hui avec la même force », pour des armées nouvellement tournées vers les opérations extérieures. Au-delà de ces considérations, on trouve des développements, déjà, sur la faiblesse des sociétés démocratiques et la mise en lumière des « capacités de manipulation de l’opinion publique à partir de tels instruments ».
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