Soldat – 1953-1963
Soldat – 1953-1963
Saint-cyrien de la promotion « Ceux de Diên Biên Phu » (1953-1955), le général d’armée Cot est bien connu des lecteurs de la Revue Défense Nationale. Il livre dans cet opuscule d’une grosse centaine de pages grand format ses « Souvenirs » de commandant de compagnie d’infanterie de secteur, fonction qu’il a tenue durant ses deux séjours (1956-1958 et 1960-1962) en Algérie. Fait notable, le futur général Cot a servi au sein du même régiment, le 153e régiment d’infanterie, le « 15-3 », toujours dans l’Est-Constantinois, région connue pour être assez « mal pavée », du fait de la proximité de la frontière tunisienne. Le PC du régiment était implanté à Souk Ahras. Outre des souvenirs factuels, cet ouvrage donne lieu à l’ouverture par l’auteur de parenthèses de portée générale. C’est pourquoi, cette recension, indépendamment du rendu de ces souvenirs, sera également enrichie de commentaires plus généraux.
Ce récit s’ouvre par quelques pages très instructives sur le passage de l’auteur à Coëtquidan, ce qui permet de mesurer l’écart, ou plutôt le gouffre, entre l’École d’il y a soixante-cinq ans et celle d’aujourd’hui. Il y a lieu tout de même de relativiser : soixante-cinq ans avant la promotion « Ceux de Diên Biên Phu », cela nous ramène à 1890. Comment qualifier l’écart régnant à Saint-Cyr entre cette époque (avant l’aventure boulangiste) et celle du début des années 1950 ? Il n’est pas sûr que le premier soit moins spectaculaire que le second.
Mais l’objet majeur de ces « Souvenirs » réside dans la participation de l’auteur à la guerre d’Algérie, officiellement dénommée à l’époque « opérations de maintien de l’ordre ». Ces « Souvenirs » fournissent un témoignage de première main, parfois sans complaisance et on verra pourquoi, sur le quotidien d’un très jeune commandant de compagnie ; ils permettent de mieux comprendre ce qu’était l’armée du quadrillage à l’époque, sujet rarement traité, ainsi que l’évolution de la mentalité de ce même commandant de compagnie durant les quatre ans où le discours officiel est successivement passé des « Français à part entière » jusqu’à l’Indépendance. Les dernières pages sur le « repli » d’un régiment depuis l’Est-Constantinois jusqu’à son embarquement à Alger, en janvier 1963, sont très éclairantes sur les conditions concrètes du désengagement militaire de la France.
Même s’ils ont été effectués au sein du même régiment et dans la même région, les deux séjours du lieutenant puis du capitaine Cot en AFN ont été fort différents. Au cours du premier, l’auteur se trouvait responsable de la pacification d’un sous-quartier, alors que dans le second, commandant un poste dans le no man’s land entre le barrage (la ligne Morice) et la frontière tunisienne, il n’avait plus aucun contact avec la population qui avait été évacuée et regroupée, et n’avait plus que des soucis de nature opérationnelle.
Manifestement, à la lecture de ce témoignage, l’aspect d’une armée à deux vitesses saute aux yeux concernant l’armée d’Algérie. Alors que les unités appartenant à ce qui deviendra les Réserves générales disposent d’un taux d’encadrement conforme à leurs tableaux d’effectifs, celles du quadrillage connaissent un sous-encadrement chronique. En clair, lorsque le lieutenant Cot commande, à moins de vingt-cinq ans, une compagnie sans officier adjoint, avec un seul officier d’active et dont les autres chefs de section appartiennent au contingent, ses camarades de promotion légionnaires ou parachutistes sont tous chefs de section, au sein de compagnies commandées par des capitaines chevronnés qui ont tous servi en Extrême-Orient et qui disposent tous d’un officier adjoint. Dans les deux situations, la forme de l’exercice du commandement est très différente, ainsi que les conditions d’engagement de ces unités de nature et de pied très différents. En outre, l’afflux des rappelés en 1956 a conduit à un dédoublement des unités sans pour autant disposer des cadres afférents, ce qui a encore réduit le taux d’encadrement des unités de quadrillage, les unités de réserve générale n’étant pas concernées par les rappelés. Dans ce cas précis, le général Cot n’a pas eu de chance, puisque le dédoublement de sa compagnie a eu lieu alors qu’il était en permissions en France, ce qui a fait qu’à son retour, il a hérité d’une compagnie dont les meilleurs éléments avaient été « purgés ».
Le deuxième trait saillant de ces « Souvenirs » est l’extraordinaire indépendance, gage de liberté d’action, dont pouvait alors bénéficier un commandant de compagnie, isolé dans son sous-quartier ou dans son poste, vis-à-vis de la hiérarchie de son régiment. Le général Cot indique, d’une part n’avoir eu des contacts avec son commandant de bataillon ou son chef de corps grosso modo, qu’une fois par mois, d’autre part il note que parmi ses chefs de corps successifs, il en est un qui n’a jamais mis les pieds sur ses terres, de toute la durée de son commandement. L’information de l’échelon bataillonnaire ou régimentaire se faisait par l’envoi chaque jour du Bulletin de renseignements quotidien (BRQ) et la liaison vers Souk-Ahras se faisait en bénéficiant de l’escorte du convoi de ravitaillement hebdomadaire. Aujourd’hui, à l’heure de l’info-valorisation, alors que certains invoquent le risque de dépersonnalisation de l’exercice du commandement, cette situation, fortement anormale, donne à réfléchir.
Le général Cot n’élude ni la question de la torture ni celle des exécutions sommaires. Il les condamne l’une et l’autre, au nom de l’éthique militaire. Si ces pratiques n’étaient pas généralisées, il n’en demeure pas moins qu’elles ont largement dépassé le seul cadre de la bataille d’Alger. À l’été 1956, en arrivant au 15-3, il a la surprise de découvrir que l’officier de renseignements du régiment, un de ses camarades, n’hésite pas à recourir à l’emploi de la génératrice d’électricité du C9 (poste radio à moyenne amplitude), dite « gégène », pour obtenir des aveux des suspects qu’il a arrêtés. Avec beaucoup de franchise, de pudeur et de contrition, le général Cot avoue y avoir eu également recours une fois, une fois de trop, dans des circonstances que le lecteur découvrira. Il en ira de même pour les exécutions sommaires, lorsqu’il reçut l’ordre – téléphonique – de son commandant de bataillon de « liquider un salopard ». Ce fut un cas unique, mais également un cas de trop. L’auteur ne dit pas un mot sur les dispositifs opérationnels de protection (DOP), ce qui est compréhensible puisqu’ils relevaient du niveau du secteur. Néanmoins, il signale quand même avoir envoyé à Souk Ahras deux harkis dans les affaires desquels il avait été découvert des cocktails Molotov. Le général Cot indique « ne plus en avoir jamais entendu parler ».
Pour ce qui est des opérations, compte tenu de sa position, en avant du barrage, la compagnie du lieutenant Cot n’a pas été engagée dans ce qui a été appelé la « bataille du barrage » ou de « Souk-Ahras », entre février et avril 1958, laquelle s’est évidemment jouée en arrière, au-delà de l’obstacle de la ligne Morice, après son franchissement par l’adversaire. Si bien que les opérations auxquelles il a pris part ont été, soit des opérations conçues à son niveau, soit conçues et conduites à celui du secteur. L’auteur rend compte néanmoins de maints engagements qui démontrent qu’au moins dans cette région de l’Est-Constantinois, il s’agissait d’une guerre bien réelle. Le général Cot insiste fortement sur une mise en place de nuit de ces opérations, gage de leur discrétion. Ce fut notamment le cas au cours de son deuxième séjour, où son poste, Aïn Zana, commandant l’axe qui donnait accès à la frontière tunisienne, fut soumis à une pression constante de l’ALN depuis son sanctuaire tunisien. Le général Cot montre bien comment cette pression est allée croissante de 1960 à 1962, jusqu’au moment du cessez-le-feu, sous la forme d’un harcèlement permanent. Mais, ce qu’il redoutait, une action massive de l’ALN, visant à s’ouvrir de vive force un passage dans le barrage, ne s’est jamais produite. Et pour cause ! À l’époque, ni lui ni ses chefs ne pouvaient savoir, ni deviner, que Boumédiène, chef d’état-major de l’ALN, n’avait nulle intention de gaspiller son outil militaire dans une telle action, alors qu’il avait un intérêt personnel à le conserver intact, comme outil de prise du pouvoir ultérieurement. La ligne Morice a ainsi abouti à ce résultat paradoxal de, certes, sanctuariser le théâtre algérien, ce qui a permis de considérablement y affaiblir la rébellion, mais également d’aboutir au même résultat sur le sanctuaire tunisien de l’ALN, laquelle, privée de la possibilité de renforcer les maquis de l’« intérieur », a ainsi achevé la guerre, parfaitement intacte. Elle donnait à son chef une capacité de prise de pouvoir, par la confiscation de la révolution par les armes, ce dont il ne s’est pas privé.
Dans l’exercice de ses commandements successifs, le général Cot a pu assister aux « grands moments » de la guerre d’Algérie. En avril 1958, placé comme il l’était, tel Fabrice del Dongo, le lieutenant Cot a pu assister en direct à la frappe de l’aviation française sur Sakiet. Comme il le signale lui-même, « du haut de son djebel, il a pu assister à un événement de portée mondiale », puisque cet exercice – parfaitement illégal – du droit de poursuite sur le territoire d’un État souverain, ordonné par Alger, en dehors de tout accord du gouvernement, a eu des retombées jusqu’à l’ONU, et a abouti aux « bons offices » américains, rapidement tombés dans les oubliettes pour cause de 13 mai. Lequel 13 mai est passé absolument inaperçu dans ce coin perdu du bled de l’Est algérien, à des années-lumière de l’agitation du chaudron algérois.
En revanche, lors de son second séjour, le futur général Cot fut confronté au putsch des généraux, puisqu’il appartenait au seul corps d’armée dont le chef, le général Gouraud, après bien des tergiversations et des dénis, s’est finalement rangé du côté des insurgés et a lancé jusqu’au niveau des compagnies un message invitant tous les officiers à les suivre. Le lieutenant Cot a été destinataire de ce message. Prudent, son commandant de bataillon, destinataire également du même message, s’est enquis auprès de ses commandants de compagnies, des suites que ceux-ci avaient l’intention de lui donner. Sans doute, avait-il reçu la même demande de la part de son colonel ! La réponse du lieutenant Cot fut d’une extrême clarté : au reçu du moindre ordre émis par une autorité illégitime, il demanderait à être, sur-le-champ, relevé de son commandement, et se contenterait d’assurer le service courant de sa compagnie, en attendant son successeur. Ce faisant, à la lecture des qualificatifs et des noms d’oiseaux à l’encontre du chef de l’État alors en exercice, qui émaillent tout son récit, l’auteur peut difficilement passer pour un gaulliste authentique et zélé. Mais, quand on est investi d’un commandement, on ne saurait déroger au principe de discipline. Cela écrit, cette réaction qui était certainement loin d’être isolée, donne une idée de la cacophonie et du désordre qui n’auraient pas manqué de s’installer, dès lors que tel ou tel commandeur aurait suivi les généraux d’Alger.
La fin du récit du général Cot est marquée par une profonde amertume, car l’auteur a été profondément choqué par le sort réservé aux harkis, et ce, d’autant plus, qu’il en avait recrutés dans le premier commandement qu’il a exercé. Il parle à ce sujet d’une honte indélébile. Le récit amer qu’il fait du désengagement du 15-3, entre juillet 1962 et janvier 1963, date à laquelle le régiment réembarque à Alger pour Marseille, avant de rallier Bitche, s’apparente à celui d’une anabase morale pour bien des officiers.
Au cours de ces deux séjours en Afrique du Nord, le général Cot a été cité quatre fois, une fois à l’ordre de la division et trois fois à celui du corps d’armée.
Finalement, le général Cot appartient à cette génération d’officiers, profondément marquée par l’Algérie, mais qui, après le désengagement d’Algérie, a œuvré sans relâche à ce que l’armée trouve dans une nouvelle organisation adaptée à ses nouvelles missions raison d’espérer et motif de retrouver équilibre et sérénité. Ce sera, à n’en point douter l’objet de la suite de ces « Souvenirs », qui ne devrait pas tarder. ♦
NDLR : pour tout renseignement concernant cet ouvrage, vous pouvez contacter l’auteur (jeancot@orange.fr).